On entre dans cette exposition comme on entre dans un paysage de Halonen : sans fracas, mais avec cette sensation d’une lenteur qui dépose quelque chose sur le regard. Rien ici ne cherche à hypnotiser par l’effet ; tout invite à s’immerger dans un climat. Celui d’un peintre qui a fait du Nord non pas un décor mais une manière d’être au monde. On retrouve en filigrane ce que Knut Hamsun appelait la « vie mystérieuse de l’âme du Nord », ce mélange de rusticité, d’intimité et d’obstination que Halonen sut porter sur toile sans jamais verser dans la rhétorique nationale.
Né en 1865 à Linnasalmi, Halonen appartient à cette génération qui a façonné le « Siècle d’or » artistique finlandais, mais il s’en distingue par la sobriété méditative de son langage plastique. Son œuvre s’est construite dans un dialogue serré entre sa formation parisienne, Académie Julian en 1890, Paul Gauguin comme professeur en 1893, et l’ancrage carélien dont il ne s’est jamais défait. Halonen restera toujours ce peintre-paysan métaphysique, proche du réel mais attentif à la vibration intérieure des choses.
Tuusula sans stress, la vie en communauté comme matrice
La première partie du parcours revient sur la colonie d’artistes de Tuusula, dont Halonen fut l’une des figures fondatrices. Ce contexte communautaire, partagé notamment avec Akseli Gallen-Kallela, Eero Järnefelt, Magnus Enckell, Venny Soldan-Brofeldt et d’autres artistes de la période, n’est pas abordé comme simple anecdote biographique. Il est montré comme un véritable moteur esthétique. Les premières toiles rassemblées dans cette section témoignent d’un moment charnière : l’héritage académique affleure encore, mais le rapport à la nature commence déjà à s’épaissir, à prendre une densité presque tactile.
On voit se dessiner la grammaire halonienne : une manière d’articuler la verticalité des troncs, l’opacité de l’ombre et la blancheur mate de la neige. Une écriture faite de résistances plus que d’élans, qui rejoint par moments la sobriété d’un Christian Krohg, mais sans le naturalisme urbain, ou la gravité d’un Hugo Simberg, dont il fut un contemporain attentif.
L’eau, la neige, la lumière : une trilogie obstinée
À mesure que l’on avance dans le parcours, les œuvres s’organisent autour d’un triptyque qui structure toute la vie picturale de Halonen. L’eau d’abord, déclinée en rivières lentes, en surfaces prises par les glaces, en reflets dont la pureté évoque davantage la musique que la peinture. La neige ensuite, dont les variations obsessionnelles rappellent que la Finlande est moins un pays qu’un rythme. La lumière enfin, filtrée, oblique, hivernale, qui n’inonde jamais mais sculpte.
Certaines des œuvres phares listées dans le dossier, notamment les grandes scènes forestières ou les figures de paysans, portent cette intensité discrète qui fait la singularité de Halonen. Ses paysages ne sont jamais des panoramas : ils s’enfoncent, ils resserrent, ils installent un rapport frontal au réel. On pense parfois, devant cette manière de faire affleurer le sacré dans l’ordinaire, à l’école de Skagen au Danemark, dont la France a récemment redécouvert la profondeur, ou encore à l’austérité brûlante d’un Harald Sohlberg.
L’intime, en sourdine
L’expostion met aussi en lumière la place des figures dans l’œuvre de Halonen, souvent reléguée au second plan par la réception française. Les portraits de proches et les scènes d’intérieur révèlent une douceur rustique, loin de toute sentimentalité. Les femmes qu’il peint sont des présences solides, absorbées dans leur tâche, prises dans la même lumière grise qui modèle les paysages. On retrouve dans ces toiles l’écho de ses contemporaines Maria Wiik, Ellen Thesleff ou Helene Schjerfbeck : une modernité douce, presque chuchotée.
Une modernité sans rupture
Ce qui s’impose au fil de l’exposition est la cohérence de cette œuvre. Halonen n’a pas cherché la rupture ; il a cherché la justesse. Là où d’autres, en Finlande comme ailleurs, se détournaient du motif pour explorer l’abstraction ou la fable symboliste, il a poursuivi son dialogue obstiné avec la nature. Cette fidélité, parfois mal comprise, apparaît ici comme une forme de radicalité : celle de creuser un même sujet jusqu’à l’épure.
Halonen s’inscrit dans un réseau esthétique plus large, celui d’un Nord en mutation, pris entre traditions paysannes et modernité picturale, un peu à l’image de Bruno Liljefors.
Le Nord comme mesure du monde
L’exposition se referme sur l’idée que le Nord n’est pas un motif, mais une respiration. Chez Halonen, il n’est jamais un concept, encore moins une marque esthétique : il est une manière de percevoir le temps, d’habiter la lumière, d’accueillir le silence. Ce silence, auquel tant d’artistes scandinaves ont tenté de donner forme, de Simberg à Schjerfbeck, de Bruno Liljefors à Thaulow et Sohlberg, trouve ici l’une de ses matérialisations les plus tenaces.
En rassemblant les œuvres de Halonen dans leur diversité, le parcours rappelle que son « nordicisme » n’est pas une identité mais une persévérance. Une lente manière d’approcher la vérité des choses.
(c) Ill. têtière: Pekka Halonen, Lac au rivage enneigé, 1899-1900, Helsinki, musée d’art de l’Ateneum, galerie nationale de Finlande, collections Antell
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