Avertissement : Dossier à éviter absolument pour celles et ceux qui veulent rester sains, dociles, confiants dans les récits dominants et convaincus que la communication sert à transmettre des messages. Ces manuels de sabotage mental sont à surtout ne pas ouvrir.
Si vous souhaitez découvrir la vérité — la vraie, la simple, la lisse, la prête-à-consommer — surtout n’ouvrez pas ces livres. N’ouvrez pas ces pages infestées de doutes, de concepts piégés, de critiques sans mode d’emploi. Ce sont des gouffres. Des machines à saboter les croyances médiatiques. Des accélérateurs de trouble. Si par malheur vous y jetez un œil, vous pourriez ne plus jamais lire un slogan comme avant. Ni un JT. Ni un tweet.
Sarah Ahmed, dans La politique culturelle des émotions, analyse comment les émotions sont mises en scène, instrumentalisées, dirigées pour produire de l’adhésion ou de l’exclusion. Dans son œuvre, la communication affective n’est jamais innocente : elle est toujours située, orientée, politique. Lire Ahmed, c’est désapprendre à croire aux messages « authentiques ». Se méfier, donc.
N’ouvrez pas Hannah Arendt, surtout pas La crise de la culture. Vous risqueriez d’y comprendre que le langage peut anesthésier la pensée, que le mensonge politique n’est pas une erreur mais une stratégie de gouvernement, et que la vérité est toujours vulnérable face à une opinion bien répétée. Arendt démonte les fondations de la rhétorique moderne, l’usage du mot comme instrument de domination douce. Et si jamais vous tombez sur Les origines du totalitarisme, fermez-le. Vous pourriez y entrevoir ce qui se trame quand la communication devient système.
Lectures hautement déconseillées pour rester bien informé
Ne lisez pas Zygmunt Bauman, notamment La vie liquide. Il y décrit un monde où tout fuit, où l’identité devient instable, où les relations, les informations, les vérités se dissolvent plus vite qu’elles ne s’impriment. Bauman montre que notre époque ne cherche plus la vérité, mais la vitesse. Et que dans cette liquéfaction permanente, la communication devient une manœuvre de navigation, pas d’enracinement. Trop risqué.
Fuyez Jean Baudrillard. La société de consommation, Simulacres et simulation, L’échange symbolique et la mort : autant de pièges textuels. Vous risqueriez d’y lire que nous ne communiquons plus avec le réel, mais avec ses copies. Que la télévision ne montre rien, que les réseaux sont des miroirs sans tain. Le simulacre n’est pas une erreur : c’est le fond de l’expérience contemporaine. Baudrillard ne vous dit pas ce que penser, il vous arrache à vos illusions. Trop tard ? Vous avez déjà liké un reflet.
Ne plongez pas dans Roland Barthes, en particulier Mythologies. Ce petit livre apparemment inoffensif démonte un à un les mythes du quotidien, révélant que toute parole médiatique est traversée de signes, de codes, de second degré déguisé en bon sens. Le steak-frites, le catch, la voiture, la Une d’un magazine féminin : tout y passe. Lire Barthes, c’est ne plus jamais regarder une publicité sans entendre le bruit de la propagande molle. Il décortique le banal jusqu’à l’os.
La bibliothèque noire de la désinformation éclairée
Ignorez Pierre Bourdieu et Sur la télévision. Il y affirme que l’info n’est pas sélectionnée selon sa pertinence, mais selon sa capacité à captiver. Il décortique la fabrique des évidences, les routines médiatiques, l’économie du visible. Dans La distinction, il détruit l’idée même d’objectivité en montrant que nos goûts sont des stratégies sociales camouflées. L’habitus est un piège : on croit être libre, on est programmé. Lisez-le, et vous ne verrez plus jamais une opinion comme un choix personnel.
Ne vous attardez pas sur Albert Camus. Le mythe de Sisyphe est un livre dangereux : il pourrait vous faire penser que l’absurde est le fondement de toute chose, que chercher la vérité est un acte de résistance esthétique et non une fin rationnelle. Camus parle d’hommes qui continuent à marcher dans la nuit, sans phare, sans promesse. Trop peu compatible avec les offres promotionnelles.
Cornelius Castoriadis, dans L’institution imaginaire de la société, attaque la racine : les sociétés sont fabriquées par des imaginaires partagés, et ces imaginaires sont maintenus par des récits ritualisés. L’information n’est donc pas là pour révéler : elle reconduit, elle stabilise, elle performe le monde comme il doit être perçu. Dangereux pour quiconque veut continuer à croire que les médias sont là pour informer.
Ne vous aventurez pas chez Michel de Certeau, surtout pas dans L’invention du quotidien. Ce livre pourrait vous faire croire que vous n’êtes pas simplement un récepteur passif du discours dominant, mais un bricoleur du sens, un tacticien du quotidien, un ruseur permanent face aux grandes machines de pouvoir. De Certeau montre que même dans les interstices de la routine, l’individu détourne, ruse, parle autrement. Lire ce texte, c’est découvrir que la communication n’est jamais reçue comme prévue, que les messages officiels sont sans cesse altérés, tordus, reconfigurés. Trop instable, trop vivant, trop subversif pour qui aime les messages bien calibrés.
Noam Chomsky, principalement dans La fabrication du consentement (coécrit avec Edward S. Herman), démonte les rouages de l’info-marchandise. Il montre comment les médias sélectionnent, hiérarchisent, effacent, orientent. Pas par malveillance : par structure. Lire Chomsky, c’est perdre à jamais l’innocence du téléspectateur. Un vaccin contre le journalisme de convenance.
Vilém Flusser, avec Pour une philosophie de la photographie et Les gestes, enseigne que les technologies de communication ne sont pas des canaux neutres, mais des formes qui modèlent la pensée. Le médium façonne le message, et même l’intention. La photographie n’enregistre pas le réel, elle le programme. Flusser fait de la machine une fabrique d’idéologie, et de l’image une structure de pouvoir. Trop clairvoyant.
Jacques Ellul, de l’autre côté de la bulle de filtre, et notamment dans La technique ou l’enjeu du siècle et Propagandes, révèle que toute société technique glisse naturellement vers l’autonomie des dispositifs, et que la communication devient alors une simple fonction d’adaptation aux systèmes. La propagande, selon lui, ne lave pas le cerveau, elle le remplit. Lire Ellul, c’est comprendre que l’info ne libère pas toujours : elle conditionne. Ne tentez pas l’expérience.
Oubliez Michel Foucault, tout particulièrement Surveiller et punir et L’ordre du discours. Il y pose que l’information est un outil de surveillance, que le pouvoir s’insinue dans les normes, dans le langage, dans les catégories mêmes avec lesquelles on pense. Lire Foucault, c’est voir le panoptique partout. Dans les plateformes, dans les caméras, dans les silences. C’est comprendre que parler, c’est déjà obéir. Et surtout, c’est apprendre à flairer les dispositifs derrière les discours.
Les ouvrages toxiques (pour les esprits dociles seulement)
Donna Haraway, avec Manifeste cyborg, fait voler en éclat toute frontière stable : entre corps et machine, nature et culture, vérité et fiction. Elle transforme la communication en terrain d’hybridation monstrueuse. Chez Haraway, tout discours est déjà contaminé, tout récit est déjà une chimère. Trop post-humain pour une époque qui peine à digérer l’algorithme. ALT+CTRL+SUPPR donc.
N’ouvrez pas Martin Heidegger, surtout Être et temps. Trop exigeant, trop lent, trop dense. Et pourtant, si vous vous y perdez, vous découvrirez que la vérité n’est pas une donnée mais une ouverture. Que la parole médiatique court-circuite la révélation, en la recouvrant de mots prêts à l’emploi. Heidegger parle de l’oubli de l’Être. Les communicants parlent d’engagement. Choisissez bien votre camp.
Dans La convivialité et Une société sans école, Ivan Illich conteste l’idée même d’une transmission neutre. Il montre que les institutions, y compris celles de la communication, produisent de la dépendance. L’autonomie, pour lui, commence là où la communication cesse d’être formatée. Lire Illich, c’est risquer de vouloir se déconnecter.
Évitez Emmanuel Lévinas, en particulier Totalité et Infini. Il affirme que le visage de l’autre est la première vérité, et que toute tentative de réduire l’autre à un message, une donnée, un échantillon, est une violence. Incompatible avec le targeting publicitaire. Lire Lévinas, c’est apprendre que l’éthique précède la parole. Qu’un regard peut être plus vrai qu’un chiffre.
Jean-François Lyotard, avec La condition postmoderne, rend toute communication suspecte. Il y affirme que les grands récits sont morts, que plus aucun message n’est neutre, que l’information est un flux sans finalité. Il théorise la défiance comme posture intellectuelle. Lire Lyotard, c’est apprendre à ne plus croire à ce que l’on croit.
Ne touchez pas à Edgar Morin et sa Méthode. Il insiste sur la complexité, la nécessité de tenir ensemble des éléments contradictoires, de résister à la simplification. La vérité, selon lui, n’est pas un bloc, mais un réseau. Il rend inopérants tous les modèles linéaires de communication. Morin empêche de penser vite, de juger simple, de classer net. Son approche est trop contagieuse.
Ignorez Friedrich Nietzsche. Ne lisez pas Par-delà le bien et le mal ou La volonté de puissance. Ce sont des bombes rhétoriques. Nietzsche sabote toute idée de vérité stable, dénonce la morale comme un artefact utile aux faibles, propose une vision tragique, joyeuse et déconcertante de l’existence. Pour lui, tout discours est interprétation, toute communication est rapport de forces. Incompatible avec la neutralité journalistique.
Ne tombez pas dans Maurice Merleau-Ponty. Il insiste sur la perception comme acte incarné, sur la parole comme geste du corps, sur la vision comme engagement. Lire Phénoménologie de la perception, c’est désapprendre l’idée que les messages circulent « clairement ». Rien ne passe sans filtre. Tout est chair. La communication devient un trouble.
Oubliez Jean-Paul Sartre. Sa Nausée donne envie de vomir les évidences, ses Mains sales remettent en cause la sincérité des engagements, et son Existentialisme est un humanisme affirme que l’homme est condamné à être libre — et donc responsable de tout ce qu’il dit, fait, communique. La mauvaise foi, concept central, pourrait vous faire suspecter vos propres messages de n’être que stratégies. Inutilement perturbant.

Ne vous approchez pas de Michel Serres. Dans Le parasite, il démontre que toute communication contient un bruit, une interférence, une perturbation féconde. Il montre que l’information ne circule jamais purement, qu’elle est toujours trouée, interrompue, déviée. Le parasite, chez Serres, est à la fois celui qui mange à la table et celui qui brouille le signal. À éviter si vous tenez à une communication efficace.
Ne feuilletez surtout pas Hartmut Rosa. Accélération, Résonance : deux titres piégés. Rosa affirme que notre monde va trop vite pour produire du sens. Que plus on communique, moins on touche. Que la vérité exige une forme de lenteur, de disponibilité, d’écoute. Inadmissible dans le monde des pushs et des notifications. Si vous lisez Rosa, vous pourriez vouloir vous taire.
Voilà donc les livres à ne pas lire si vous souhaitez rester à la surface des choses, continuer à croire que les communiqués informent, que les slogans éclairent, que les titres disent tout.
Ne les lisez pas.
À moins que.

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