Lors de la BRAFA 2025, je venais pour la peinture… et la BD, Belgique oblige. Un stand incontournable, celui de la galerie Huberty & Breyne m’a tout d’abord interpellée par deux toiles de François Roca. Puis, à l’intérieur, par un panneau de 9 œuvres de Loustal (j’avais vu me semble-t-il Heddie à l‘exposition Street art We are here au Petit Palais), et une demi-douzaine de Jean-Claude Götting.
La charmante et disponible galeriste m’a proposé de jeter un œil backstage (merci, vraiment !), me permettant de découvrir un Roca sous bulle (une femme en robe jaune, debout, devant une voiture prise de trois quart, au fond un désert aux herbes sêches), ainsi qu’un Tardi (j’en profite pour partager ma déception suite à ma lecture du dernier Nestor Burma), un Will (une femme japonaise avec un éventail, un tori au fond à gauche), du Gotlieb… et une palanquée d’autres œuvres en attente d’accrochage. Emerveillement.
De retour dans notre antre бункер (tout le monde lit le Russe), nous avons décidé à l’unanimité des camarades de nous pencher sur trois artistes présents dans la galerie : Roca, Loustal et Götting.
François Roca : l’alchimiste de la lumière et du réalisme narratif
François Roca, né le 17 avril 1971 à Lyon, est une figure incontournable de l’illustration contemporaine, où son talent transcende les frontières de l’édition jeunesse pour s’inscrire dans un dialogue constant avec les arts visuels. Formé à l’excellence dès son plus jeune âge, il débute à 16 ans des études graphiques au lycée La Martinière à Lyon. Ce parcours se poursuit à l’École nationale supérieure des Arts appliqués Olivier-de-Serres à Paris, avant de se clore magistralement à l’École Émile Cohl à Lyon, où il obtient son diplôme en 1993 et rencontre son futur complice artistique, Fred Bernard. Cette rencontre marquera durablement sa carrière.
Dès ses débuts, François Roca se consacre à la peinture, un art qu’il laisse momentanément de côté pour répondre aux nombreuses sollicitations de l’édition. Avec Fred Bernard, il inaugure une collaboration fructueuse qui donnera naissance à une quarantaine d’albums, dont une vingtaine en tandem. Cette alliance, marquée par une audace narrative et thématique, révolutionne l’édition jeunesse en explorant des sujets rarement abordés pour ce public. Leur ouvrage emblématique, Jésus Betz (Éditions du Seuil), remporte le prix du Salon du livre jeunesse de Montreuil en 2001 et le Goncourt Jeunesse en 2002, propulsant leur univers hors des frontières conventionnelles.
Traduit dans plus de vingt langues, François Roca s’affirme aussi sur la scène internationale, collaborant avec des éditeurs nord-américains et réalisant des illustrations pour des publications prestigieuses telles que Télérama, The New Yorker, Le Monde, ou encore Playboy. Son style réaliste, marqué par une maîtrise exceptionnelle de la lumière et de la couleur, puise dans des références variées : le clair-obscur du Caravage, les cadrages cinématographiques, ou encore les atmosphères empreintes de réalisme social des peintres flamands. Ces influences se mêlent à des échos contemporains, comme les univers de David Lynch ou Edward Hopper (j’ai vu Sans titre, 6, 2023 et Sans titre, 4, 2023 à la galerie, deux toiles très hopperiennes), particulièrement visibles dans ses séries de portraits féminins, qu’il développe à travers des expositions-ventes d’originaux. Enfin, une toile comme Lumières intérieures 13, 2020, version actuelle et adoucie des pin up, me fait penser à Aslan.
L’œuvre de François Roca ne se limite pas aux albums illustrés. Il explore également les visuels de communication, comme en témoigne son travail pour le théâtre des Célestins, et il expose régulièrement ses œuvres à la galerie Huberty & Breyne, rue de Matignon à Paris. En 2003, il est invité d’honneur de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne, où il présente une exposition majeure en collaboration avec Fred Bernard. Reconnu pour l’excellence de son travail, il est fait Chevalier des Arts et des Lettres en 2017, une consécration pour ce peintre-illustrateur dont les ouvrages sont fréquemment primés.


De 2019 à 2022, il est sélectionné à quatre reprises pour le prestigieux Prix commémoratif Astrid Lindgren, tandis qu’en 2020, il représente la France pour le Prix Hans-Christian-Andersen dans la catégorie Illustration. Ce parcours impressionnant témoigne d’un artiste capable de renouveler sans cesse son langage pictural, qu’il applique aussi bien aux albums pour la jeunesse qu’à des projets plus personnels, comme ses portraits de femmes et son exploration des corps tatoués, qu’il considère comme de véritables œuvres d’art vivantes.
Aujourd’hui, François Roca continue de conjuguer son art avec une sensibilité qui fait dialoguer tradition et modernité, dans une quête incessante de lumière, d’émotion et de narration visuelle.
Loustal : l’art de raconter en couleurs et en atmosphères
Jacques de Loustal, né le 10 avril 1956 à Neuilly-sur-Seine, est une figure majeure du 9ᵉ art et de l’illustration contemporaine. Issu d’une famille d’ancienne bourgeoisie béarnaise, il débute des études en architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris à la fin des années 1970. C’est à cette période qu’il amorce sa carrière d’illustrateur, publiant ses premiers dessins dans le fanzine Cyclone, avant d’être remarqué dans le magazine Rock & Folk. Sa rencontre avec le scénariste Philippe Paringaux marque un tournant décisif : ensemble, ils signent des bandes dessinées au ton singulier, publiées dans Métal Hurlant et (À suivre), puis rassemblées dans des albums devenus cultes, tels Barney et la note bleue, Cœurs de sable, ou encore Kid Congo. Ce dernier reçoit l’Alph-Art du meilleur scénario au Festival d’Angoulême en 1998.
Loustal se distingue par un style graphique unique, où les couleurs directes, souvent appliquées au pinceau ou à la plume, privilégient l’atmosphère à la narration classique. Inspiré par des artistes comme David Hockney ou les fauves, ainsi que par le cinéma contemplatif de Wim Wenders, il transcende les conventions de la bande dessinée, réduisant l’usage des phylactères au profit de récitatifs et de textes « off ». Cette approche confère à ses œuvres une dimension picturale, faisant de Loustal un auteur à la croisée des arts.
En parallèle de ses collaborations avec Paringaux, il travaille avec d’autres écrivains de renom. Jérôme Charyn, Jean-Luc Coatalem, Dennis Lehane et Tonino Benacquista comptent parmi ses partenaires, tout comme Georges Simenon, dont il illustre l’œuvre pour les Éditions Omnibus. Il élargit également son champ d’expression en adaptant des récits littéraires en bande dessinée, comme Coronado de Dennis Lehane ou Les amours insolentes avec Benacquista, et publie des récits variés avec des auteurs tels que Jean-Claude Götting, Fred Bernard, ou John Simenon.
Artiste prolifique, Loustal est aussi un illustrateur très demandé. Ses dessins ornent les pages de grands magazines comme The New Yorker, Senso, ou Beaux Arts Magazine, et il signe des affiches de films, dont celle mémorable d’Un monde sans pitié en 1989. Passionné de voyages, il puise une grande partie de son inspiration dans ses périples. De ces escapades naissent des carnets de dessins, tels Dessins d’ailleurs, Esprits d’ailleurs et Aux antipodes, publiés aux Éditions de la Table Ronde.
Loustal ne limite pas son œuvre au papier. Il expose régulièrement ses peintures dans des galeries prestigieuses, notamment Huberty & Breyne à Paris et Bruxelles, où l’étendue de son travail est célébrée. En 2022, Les Cahiers Dessinés lui consacrent un ouvrage intitulé Peintures, témoignage de la place prépondérante de cet aspect de son art.
Maître des atmosphères, amoureux des couleurs et narrateur subtil, Loustal a su inscrire son nom parmi les grands illustrateurs et auteurs de bande dessinée, tout en construisant un univers profondément personnel, où le voyage et l’évasion demeurent au cœur de sa démarche artistique.

Jean-Claude Götting : le magicien des contrastes et des atmosphères
Né à Paris le 21 avril 1963, Jean-Claude Götting s’est imposé comme une figure incontournable du paysage artistique français, oscillant avec brio entre bande dessinée, illustration et peinture. Diplômé de l’École supérieure des arts appliqués Duperré en 1986, il débute sa carrière en publiant dans des fanzines comme PLGPPUR et Ice Crims, avant de signer son premier album, Crève-Cœur, chez Futuropolis en 1985. Ce chef-d’œuvre, salué par le prix du meilleur premier album au Festival d’Angoulême en 1986, marque d’emblée les esprits par son approche révolutionnaire du noir et blanc. Götting innove en enrichissant ses dessins d’une technique singulière : un encrage mêlé de gouache appliquée au rouleau de mousse, qui donne à ses planches un relief charbonneux et des gris d’une lumière envoûtante.
Cette esthétique unique devient une signature et propulse Götting parmi l’avant-garde du Neuvième Art français. Des œuvres comme Détours, La Serviette noire ou encore L’Option Stravinsky témoignent de son génie à insuffler de l’atmosphère dans chaque case, construisant des univers visuels empreints de mélancolie et de poésie. Pourtant, après quelques années, il s’éloigne de la bande dessinée pour se consacrer à l’illustration et à la peinture, où il explore de nouvelles palettes, souvent vives et audacieuses. Il collabore avec des publications prestigieuses telles que The New Yorker, Libération ou Le Nouvel Observateur et réalise des couvertures pour des auteurs renommés, dont Naguib Mahfouz, Réjean Ducharme et Paule Constant. Sa notoriété atteint un sommet lorsqu’il devient l’illustrateur des couvertures de la version française de la saga Harry Potter, contribuant à l’identité visuelle des romans cultes de J.K. Rowling.
En parallèle, Götting expose régulièrement ses œuvres à Paris, Bruxelles et Genève, où ses toiles, dessins et planches révèlent une sensibilité particulière pour le portrait féminin. Que ce soit en noir et blanc ou en couleurs dominées par des tonalités rouges et bleues, ses modèles dégagent une élégance troublante et une beauté introspective. Après une parenthèse dans le monde de la presse et de l’édition, il revient triomphalement à la bande dessinée en 2004 avec La Malle Sanderson, couronnée à Genève et Monaco, et signe en 2012 Pigalle 62.27, un album co-réalisé avec Loustal.
Créateur exigeant, Götting poursuit une quête artistique alliant innovation technique et profondeur narrative. Ses œuvres, qu’elles soient graphiques ou picturales, captivent par leur capacité à conjuguer ombre et lumière, force et délicatesse, faisant de lui un véritable magicien des atmosphères.


Note aux malicieux qui en douteraient encore : ce papier n’est pas un post sponsorisé 🙂

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