Mêmes plats réchauffés servis par les médias, chaque année : rentrée scolaire, soldes, canicule, grippe. Pourquoi ces marronniers fascinent-ils encore ? Décryptage ironique d’un rituel médiatique qui dit tout de notre soif de répétition.
Le confort du déjà-vu
Les marronniers, ces sujets qui reviennent plus fidèlement qu’un boomerang mal lancé, sont le pain béni des rédactions. Rentrée scolaire en septembre, soldes en janvier, Octobre rose en automne : le calendrier médiatique est une horloge comtoise (made in France), tic-tac prévisible. Pourquoi cet amour indéfectible pour les redites ? Parce que les marronniers sont l’équivalent journalistique d’une soupe lyophilisée : rapide à préparer, facile à avaler, et ça nourrit sans surprendre.
Les rédactions, souvent à court d’idées en période creuse, s’appuient sur ces sujets comme un vieux couple sur sa routine. Pas besoin d’inventer, il suffit de dépoussiérer l’article de l’an dernier, de changer deux chiffres et un adjectif. Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision, moquait déjà cette paresse structurelle des médias, où le prêt-à-penser l’emporte sur l’audace. Les marronniers, c’est l’assurance d’un contenu qui remplit les colonnes sans risquer de froisser. Et puis, avouons-le, c’est économique : un reportage sur “comment survivre à la canicule” coûte moins cher qu’une enquête sur les coulisses du pouvoir et leur élite reptilienne.
Nos marronniers permanents
Le 14 juillet, fête nationale du marronnier, par Camarade Président
Canicule, comment faire face ? Par Bam Sobaku
La rentrée des classes en marronniers, par Anna L. (à paraître le 28 août et en 404 sur la N7 avant)
La suite bientôt !
Mais le marronnier n’est pas qu’une facilité. Il est aussi un miroir tendu aux rédacteurs en chef, qui savent que le public, ce grand enfant, adore qu’on lui raconte la même histoire. Les médias, en bons dealers de nostalgie, exploitent cette faiblesse. Comme le disait Roland Barthes dans Mythologies, les récits répétitifs rassurent parce qu’ils structurent le chaos du réel. Le marronnier, c’est le doudou winnicottien du lecteur, une madeleine de Proust sans le goût, mais avec la garantie d’un monde qui tourne rond, ou du moins, qui fait semblant.
La curiosité compulsive du public
Pourquoi, bon sang, continuons-nous à lire des articles intitulés “Nos astuces pour une rentrée réussie” ou “Les Français et les vacances d’été” ? Ces sujets, aussi neufs qu’un best-of de Johnny Hallyday, devraient nous lasser. Pourtant, les chiffres d’audience le prouvent : les marronniers cartonnent. Jacques Lacan aurait sans doute vu dans cette obsession une pulsion de répétition, ce besoin freudien de revenir sans cesse au même pour conjurer l’angoisse de l’inconnu. Le marronnier, c’est l’anti-surprise, l’antidote à un monde où tout fout le camp. Quand le JT nous serine que “les Français dépensent moins pendant les soldes”, on hoche la tête, rassuré par cette vérité aussi profonde qu’une flaque. Zygmunt Bauman, dans La Vie liquide, parlait d’une société obsédée par la permanence dans un monde en perpétuel changement. Le marronnier, c’est notre rocher dans la tempête, même s’il est en polystyrène.
Cette fascination n’est pas qu’une affaire de confort psychologique. Elle est aussi sociale. Le marronnier, en ressassant des vérités générales (“la grippe revient cet hiver”), crée du lien, un semblant de communauté. On lit, on commente, on partage, comme on discuterait de la pluie et du beau temps. Umberto Eco, dans De Superman au surhomme, soulignait que les récits répétitifs sont des rituels qui soudent les groupes. Le marronnier, c’est notre messe laïque, où l’on communie autour d’une évidence : oui, les embouteillages de juillet, c’est pénible. Merci, Le Figaro, L’Express, Le Parisien, France Info, etc. de nous le rappeler.
« Le marronnier, c’est l’anti-surprise, l’antidote à un monde où tout fout le camp. »
Le marronnier, au fond, est un symptôme. Il dit notre peur du vide, notre incapacité à tolérer le silence médiatique. Que dirait-on si, en août, les journaux se taisaient faute de nouvelles ? Impensable (bon… le sujet nous a un peu titillé quand même). Alors on recycle, on ressasse, on enrobe de nouveauté des vérités vieilles comme le Minitel d’Hérode (voir aussi On Thérode again). Le marronnier signifie aussi que les médias, malgré leurs grands discours sur l’innovation, sont des usines à conformisme. Ils ne vendent pas de l’information, mais du rituel. Comme l’écrivait Jean Baudrillard dans Simulacres et simulation, la société contemporaine préfère les signes à la réalité. Le marronnier, c’est un signe pur : il ne dit rien de nouveau, mais il signifie qu’on est encore là, à consommer du média comme on avale un café tiède.
La farce éternelle
Et que dire de vous, chers lecteurs, spectateurs, cliquant frénétiquement sur “10 conseils pour survivre au Black Friday” ? Le marronnier est le miroir de votre passivité. Il symbolise une consommation médiatique où l’on préfère le familier à l’inattendu, le prévisible à l’exigeant. On pourrait s’indigner, mais soyons honnêtes : il y a un plaisir coupable à lire que “les Français boudent les soldes”. C’est comme regarder un téléfilm de Noël : on connaît la fin, mais on le regarde quand même, vautré dans le canapé de notre paresse intellectuelle.
Alors, faut-il brûler les marronniers ? Sûrement pas. Ils sont les piliers branlants de l’écosystème médiatique, les totems d’une société qui aime se regarder le nombril. Ils rappellent que l’information, souvent, n’est qu’un spectacle, une comédie bien rodée où les médias jouent les metteurs en scène et vous, les spectateurs complices. Le marronnier, c’est la sitcom de l’actu : on rit, on s’agace, mais on revient toujours pour le prochain épisode.
Alors si, en 2026, Pr4vd4 vous ressort un dossier sur “les marronniers, pour quoi faire ?”, ne soyez pas surpris. Ce sera juste notre façon de vous dire : on vous aime, bande de masos.

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