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Le jargon d’entreprise : art du flou ou stratégie de domination ?

Quand le langage corporate vire à l’absurde : enquête ironique sur les dérives verbales du commerce, du digital, de la tech et de la finance

Quand le langage corporate vire à l’absurde : enquête ironique sur les dérives verbales du commerce, du digital, de la tech et de la finance

Dans la jungle impitoyable des open spaces et des salles de réunion aux noms improbables (« Espace Créativité », « Salle Agilité », on se demande bien pourquoi), une compétition féroce fait rage. Oubliez les augmentations de salaire ou les primes de performance, le véritable enjeu, la médaille ultime, c’est la maîtrise absolue du bullshit, pardon, du verbiage corporate. Chaque secteur rivalise d’ingéniosité pour pondre les expressions les plus absconses, les acronymes les plus barbares et les concepts les plus fumeux. Enquête au cœur de cette pandémie linguistique pour découvrir qui décrochera la palme du galimatias…

Le commerce : entre « expérience client ultime » et « stratégie omnicanale disruptive »

Nos amis du commerce, toujours à l’affût du dernier buzzword à la mode, excellent dans l’art de transformer l’acte d’achat le plus banal en une odyssée philosophique. Chez eux, un client n’est plus un client, c’est un « actif précieux » qu’il faut « engager » au travers d’une « expérience client holistique ». Lorsqu’ils évoquent la simple idée de vendre des chaussettes en ligne et en magasin, cela devient une « stratégie omnicanale disruptive » visant à « maximiser les points de contact » et à « fluidifier le parcours utilisateur ». On imagine le pauvre client, perdu dans ce dédale sémantique, se demandant s’il ne voulait pas juste une paire de socquettes en coton.

Et ne parlons pas des réunions commerciales ! On y débat sans fin de « KPI’s » (Key Performance Indicators, pour les non-initiés, soit des indicateurs de performance clés, mais en plus snob), de « ROI » (Return On Investment, le retour sur investissement, mais en plus hermétique) et de la nécessité de « scaler » (faire croître rapidement, mais en plus anglicisant) les ventes. Un stagiaire un peu naïf avait osé demander si « scaler » impliquait l’utilisation d’une échelle. Il a été immédiatement « outboardé » de la réunion pour « manque de vision stratégique ».

Le digital : quand le « cloud » double la « blockchain » dans un « sprint agile »

Le digital…. Ce monde merveilleux où l’on manie des concepts aussi concrets que des nuages (le fameux « cloud« ) et des chaînes de blocs invisibles (« blockchain »). Ici, la simplicité est l’ennemie. Un simple bug devient un « incident critique de production impactant la user experience ». Une mise à jour mineure se transforme en un « release majeur avec intégration continue et déploiement automatisé ». On se croirait dans un film de science-fiction, sauf que les extraterrestres parlent un français approximatif truffé d’anglicismes.

Les réunions digitales sont un festival de « brainstormings » (remue-méninges, mais en plus branché), de « stand-ups » (réunions debout de 15 minutes, censées être efficaces mais qui durent invariablement une heure), et de « rétrospectives » (bilans d’étape où l’on refait le monde en post-it colorés). Le summum est atteint lorsqu’on évoque la « transformation digitale », un concept tellement vague qu’il permet de justifier n’importe quelle dépense et n’importe quel changement, même le plus inutile. Un chef de projet particulièrement zélé avait un jour proposé de « disrupter le modèle de la pause-café » en installant des distributeurs connectés en « IoT » (Internet of Things). L’idée a finalement été « priorisée à la baisse » après une levée de boucliers des amateurs de la traditionnelle machine à café et de ses conversations animées.

La high-tech : le flou artistique entre « intelligence artificielle » et « réalité augmentée »

Dans le secteur de la high-tech, on ne parle plus, on innove (enfin, on essaie). Ici, le jargon est une arme de séduction massive, destinée à impressionner les investisseurs et à faire fuir les concurrents par un excès de technicité. On nous parle d' »algorithmes propriétaires », de « deep learning » (apprentissage profond, mais ça fait moins sérieux), de « machine learning » (apprentissage automatique, encore moins sérieux) et de la fameuse « intelligence artificielle » (qui, soyons honnêtes, est souvent aussi intelligente qu’un grille-pain).

Les réunions high-tech sont un défilé de termes abscons. On y discute de « scalabilité de l’infrastructure cloud native », de « microservices orchestrés par Kubernetes » et de la nécessité d’adopter une « approche data-driven » (pilotée par les données, pour ceux qui n’auraient pas suivi). Un ingénieur, visiblement lassé de cette surenchère verbale, avait un jour proposé de remplacer tous les termes techniques par des onomatopées. Sa présentation, ponctuée de « bip », « boing » et « wizz », n’a pas été très bien accueillie par la direction, qui a jugé son approche « manquant de granularité ».

La finance : quand « produit dérivé complexe » rime avec « perte colossale »

La finance est un monde où l’argent travaille (paraît-il) et où le langage est une forteresse impénétrable. La simplicité y est suspecte. Un investissement risqué devient un « produit dérivé complexe à forte volatilité« . Une bulle spéculative se transforme en une « correction de marché ». Et une faillite retentissante est pudiquement qualifiée de « restructuration financière ».

Les réunions financières sont un festival d’acronymes obscurs : « CDS » (Credit Default Swaps), « CDO » (Collateralized Debt Obligations), « M&A » (Mergers and Acquisitions). On y parle de « gestion des risques », d' »allocation d’actifs » et de la nécessité d' »optimiser le rendement » pour les « shareholders » (actionnaires, mais en plus chic). Un analyste junior avait un jour osé demander si un « hedge fund » (fonds spéculatif) servait à tailler les haies. Il a été immédiatement réaffecté au service des archives, où il a pu méditer sur la complexité du langage financier.

Le concours ultime : qui remportera le trophée du verbiage d’or ?

Alors, qui remportera cette prestigieuse compétition du jargon le plus indigeste ? Le commerce avec ses « parcours client enchantés » ? Le digital avec ses « sprints agiles disruptifs » ? La high-tech avec son « intelligence artificielle révolutionnaire » ? Ou la finance avec ses « produits structurés sophistiqués » ?

Le jury, composé d’anciens consultants reconvertis en experts de la langue de bois, aura fort à faire pour départager ces champions de l’obscurité. Une chose est sûre : le vainqueur sera celui qui aura réussi à complexifier le plus simplement du monde, à enrober la banalité dans un vernis de technicité et à faire croire que dire « bonjour » est en réalité un « engagement proactif de premier contact visant à optimiser la relation interpersonnelle ».

La morale de cette histoire…

Si cette plongée vertigineuse dans les abysses du jargon d’entreprise vous a laissés dubitatifs, voire légèrement nauséeux, c’est normal. La morale de cette histoire, si tant est qu’il faille en tirer une, pourrait être la suivante :

Dans un monde où la simplicité est souvent perçue comme un aveu de faiblesse intellectuelle, et où la complexité verbale est érigée en marque de compétence, il est bon de se rappeler que l’efficacité réside souvent dans la clarté. Derrière les « synergies », les « leviers de croissance » et les « paradigmes disruptifs » se cachent parfois des idées aussi novatrices qu’une tartine de beurre rassis.

Alors, la prochaine fois que vous entendrez un collègue parler de « transformation agile à forte valeur ajoutée », demandez-lui poliment ce que cela signifie concrètement. Vous pourriez être surpris de constater que, bien souvent, même celui qui manie ces expressions avec tant d’aisance a une vague idée de leur véritable sens.

Finalement, peut-être que le véritable acte de rébellion dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui ne serait pas de maîtriser le jargon à la perfection, mais bien de s’efforcer de parler un langage que tout le monde peut comprendre. Après tout, n’est-ce pas là la base de toute communication efficace ? Ou, pour le dire en novlangue corporate, « l’optimisation des flux informationnels inter-parties prenantes via un canal de communication dénué d’obfuscation sémantique ». À méditer… ou pas. Allez, à la prochaine conf call !

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