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Linguistique appliquée : vive les adjectifs managériaux !

Les adjectifs du management moderne ("inspirant", "crucial", etc.) masquent l'incompréhension, justifient l'inutile, et jargonnent à l'excès

Les adjectifs du management moderne (« inspirant », « crucial », etc.) masquent l’incompréhension, justifient l’inutile, et jargonnent à l’excès

Ah, les adjectifs du management moderne ! Ces petites merveilles linguistiques qui transforment magiquement une réunion de deux heures en une « expérience transformationnelle » et une baisse de budget en « opportunité de réalignement stratégique ». Plongeons ensemble dans cet univers fascinant (premier degré d’absurdité détecté).

« C’est inspirant » : la béquille rhétorique suprême

Quand un manager vous dit que votre nouveau projet de réorganisation des trombones par couleur est « inspirant », comprenez qu’il n’a absolument aucune idée de ce dont vous parlez mais qu’il a besoin de paraître engagé. L’adjectif « inspirant » est aux cadres ce que le WD-40 est aux bricoleurs : ça s’applique partout, ça ne résout rien, mais ça donne l’impression que quelque chose se passe.

Comme quand Igor a fait remarquer à Tatiana que le nouveau système de tri des déchets du bureau utilisant 17 poubelles différentes codées par couleur, forme, et odeur était « profondément inspirant ». En réalité, Igor n’avait jamais trié ses déchets de sa vie et continuait à jeter ses mégots de cigarette dans les plantes du bureau, mais il avait besoin de faire croire à son engagement écologique avant sa candidature au poste de « Chief Sustainability Thought Leader ».

« C’est crucial » : l’urgence éternelle

Dans la mythologie managériale, tout est « crucial ». Absolument tout. Les post-its, le café, le nouveau logo qui ne diffère de l’ancien que par une teinte de bleu imperceptible pour l’œil humain… tout est d’une importance CAPITALE.

Souvenez-vous quand Dimitri a convoqué une réunion d’urgence un vendredi à 18h pour annoncer qu’il était « crucial » de redéfinir la mission de l’entreprise car il avait lu un article sur LinkedIn pendant sa séance aux toilettes. Irina, qui avait annulé le 5ème anniversaire de son fils pour assister à cette réunion « cruciale », a dû acquiescer pendant deux heures à un monologue sur « l’ADN de notre marque » avant que Dimitri ne conclue qu’il faudrait « retravailler tout ça lundi ».

« C’est fascinant » : le masque de l’incompréhension totale

« Fascinant » est l’adjectif refuge quand on n’a strictement rien compris. Plus le sujet est complexe, plus la fascination sera grande. Une équation différentielle expliquée à un manager de ressources humaines ? « Fascinant ! ». Un rapport financier incompréhensible ? « Absolument fascinant ! ».

Prenez ce matin où Svetlana, directrice marketing, a déclaré « fascinant » pas moins de 27 fois pendant la présentation technique d’Alexei sur les problèmes de latence du serveur. Son record précédent était de 19 « fascinant » lors d’une explication sur la nouvelle politique fiscale qu’elle avait immédiatement violée en déclarant son abonnement Netflix comme « équipement professionnel essentiel ».

« C’est disruptif » : l’illusion de la révolution

Changer la marque de café de la machine à expresso ? Disruptif ! Utiliser des chemises colorées le vendredi ? Disruptif ! Préférer Slack à Microsoft Teams ? Révolutionnairement disruptif !

Rappelez-vous quand Yuri, notre « Chief Innovation Officer », a proclamé que son idée de mettre des roulettes sous les chaises de bureau était « disruptive » et méritait une présentation de 45 minutes avec animations 3D devant le conseil d’administration. C’est le même Yuri qui a qualifié de « disruption traditionnelle innovante » sa décision d’enlever toutes les portes des toilettes pour « favoriser la transparence et la communication ouverte ». Le jour suivant, Anastasia a « disrupté » le bureau en apportant un paravent japonais qu’elle installait devant les toilettes pour ajouter une touche internationale.

« C’est stratégique » : le mot-clé pour dépenser sans justifier

Une dépense normale doit être justifiée. Une dépense « stratégique » ? Elle s’auto-justifie par sa stratégicité intrinsèque ! Le niveau de stratégisme d’une initiative est directement proportionnel à son inutilité réelle.

Comme cette fois où Boris a défendu l’achat d’un aquarium à méduses phosphorescentes de 12 000€ pour la salle d’attente en expliquant que c’était « un investissement stratégique pour affirmer notre positionnement premium ». Six mois plus tard, les méduses étaient mortes, l’aquarium servait de rangement pour les fournitures de bureau, mais la « stratégie d’expérience client immersive » figurait toujours dans les slides de présentation de l’entreprise.

« C’est agile » : la flexibilité de ne rien planifier

L’agilité en entreprise, c’est comme la mayonnaise : tout le monde prétend savoir la faire, mais le résultat est souvent une substance non identifiée qui colle partout.

Souvenez-vous du jour où Mikhail a déclaré que dorénavant, la comptabilité serait « agile ». En pratique, cela signifiait que les salaires seraient versés « quand l’énergie du sprint serait alignée avec les flux financiers » et que les notes de frais seraient remboursées « selon un backlog priorisé par la valeur business ». Étrangement, les seules notes de frais en haut du backlog étaient celles de Mikhail, notamment ses cours de yoga tantrique qu’il justifiait comme « formation au leadership par le corps ». Fascinant et stratégique, vous me direz…

« C’est holistique » : le vernis pseudoscientifique du n’importe quoi

Quand Olga, fraîchement promue « Head of Holistic Customer Journey », a présenté son approche « holistique » du service client, il s’agissait en réalité de remplacer le service après-vente par un bot automatique qui répondait à toutes les plaintes par des citations de Paulo Coelho. « C’est plus holistique », insistait-elle, « car nous traitons l’âme du client, pas seulement son problème technique. » Le fait que les retours produits aient augmenté de 340% était, selon elle, « un signe que les consommateurs sont en chemin vers l’éveil collectif ».

« C’est authentique » : l’artifice suprême

« Notre marque est désormais authentique », a proclamé Natasha lors du lancement de la nouvelle campagne construite par une agence parisienne à 300 000€, mettant en scène des mannequins déguisés en ouvriers qui n’avaient jamais touché un outil de leur vie. Pour renforcer cette « authenticité », l’équipe marketing a passé trois semaines à distresser artificiellement les nouveaux meubles du bureau pour leur donner « un look vécu et authentique », avant d’interdire aux employés de manger à leur bureau pour « préserver l’authenticité du concept ».

Conclusion : c’est synergique !

Dans cet écosystème linguistique hautement performant qu’est le management moderne, la synergie entre ces adjectifs crée un paradigme communicationnel dynamique permettant l’émergence d’un dialogue transformationnel catalysant l’innovation disruptive dans un framework agile et résilient.

Comme l’a si bien résumé Vladimir lors de son discours de départ à la retraite après 40 ans dans l’entreprise : « J’ai assisté à 9 716 réunions, participé à 347 processus de ‘transformation’, survécu à 54 ‘réorientations stratégiques’, et je n’ai toujours aucune idée de ce que nous fabriquons réellement. » Sa remarque a été saluée comme « incroyablement visionnaire » par la direction.

En d’autres termes : plus c’est vide de sens, plus c’est rempli d’adjectifs. C’est mathématique. C’est scientifique. C’est synergique.

Et si vous n’avez pas compris cette conclusion, c’est probablement parce qu’elle est trop visionnaire pour vous.

***

(c) Ill. têtière : Madzery Ma

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