Pølitique

Les associations criminalisées (en 2035)

France 2035 : du décrochage démocratique à la criminalisation des associations. La contestation se réprime, la bureaucratie autoritaire colonise quotidien

France 2035 : du décrochage démocratique à la criminalisation des associations. La contestation se réprime, la bureaucratie autoritaire colonise quotidien

En 2025, nous abordions l’analyse du glissement, du décrochage démocratique ; en 2035, nous publions les récits. Il ne s’agit pas de prophétie, mais de fiction : écrire pour reconnaître, détourner pour prévenir, contaminant la normalité par des images qui résistent. Les micro-fictions glitchées ne prétendent pas remplacer l’enquête ; elles la complètent en ouvrant l’imaginaire politique — indispensable pour faire surgir des ripostes collectives qui ne se laisseront pas cosigner par la bureaucratie.

Nous sommes en 2035. Le rapport de la FIDH, publié il y a une décennie, n’était pas un cri d’alerte isolé mais la première pierre d’un basculement. Les associations sont aujourd’hui déclarées entités « à risque », les manifestations se paient en amendes lourdes et en peines administratives. La vie civique se déroule sous le regard algorithmique d’une bureaucratie qui a appris à se faire castratrice douce.

La chronologie d’un glissement devenu système

Souvenez-vous du rapport de la FIDH, de nos analyses récentes qui dressaient la cartographie du « décrochage démocratique ». Ce n’était pas une prophétie fantaisiste mais le constat de pratiques qui, privées de contestation, gagnent en légitimité. Entre 2017 et 2028, lois et décrets ont tissé une toison légale : restrictions de réunions publiques, qualification élargie des « désordres » pouvant justifier dissolution, obligations de « transparence » financière assorties de sanctions pénales. En 2030, les « cadres de conformité citoyenne » sont devenus fiches administratives, QR-codes et permis de réunion.

La novation n’a pas été un coup d’État spectaculaire mais une ingénierie douce. On a appris à gouverner par procédures, par exceptions normalisées. Le pouvoir discute en comités techniques, publie des notes de cadrage, puis fait voter des ordonnances qui réduisent l’espace public à la permission.

Micro-fictions glitchées : vies d’associations dissoutes

« Nous étions cinq bénévoles, on organisait des ateliers d’écriture dans la bibliothèque du quartier. Un matin, deux policiers nous ont demandé d’éteindre les ordinateurs. Le soir même, une notification : dissolution pour trouble à l’ordre public. On a reçu le PDF : quinze pages de motifs automatisés. »

« Le collectif « Femmes en Lutte » a perdu son compte bancaire. Sans IBAN, impossible d’acheter la salle. Le justificatif exigé par l’administration : attestation d’absence d’activité « subversive » »

De la gouvernance techno-bureaucratique au biopouvoir administratif

Le passage de la mise en garde à l’état de fait rappelle des diagnostics théoriques. Le biopouvoir foucaultien s’est mué en « micro-gouvernementalité » algorithmique : fichiers, scores de risque, interdictions préemptives. Les outils de data-gouvernance servent à détecter « les foyers de trouble ». L’élément nouveau n’est pas seulement technique, il est symbolique : il change la nature du soupçon. L’adversaire n’est plus l’opposant programmé (le leader), il est le collectif flou, l’assemblée non déclarée, l’événement improvisé.

La société-spectacle debordienne se reconvertit : l’ennemi visible devient obsolète, remplacé par une série d’images de contrôle. Les manifs sont transmises en direct, mais aussi analysées par un logiciel qui calcule « l’intensité de risque ». Le résultat administratif tombe comme une sentence civilisée : interdiction, dissolution, pénalisation. Tout est légal et, de ce fait, moralement anesthésiant.

Témoignages : l’algorithme qui juge et ferme

« Mon association a reçu la lettre type. Motif : “indices de virulence collective”. En pièce jointe : un fichier CSV anonymisé où apparaissent nos présences sur deux manifestations anciennes. »

« On m’a proposé un atelier de « mise en conformité » : trente heures de formation pour apprendre à écrire des statuts acceptables. Ceux qui refusaient étaient catalogués « opérateurs non coopérants ». »

Ces scènes illustrent la banalité du contrôle. Le droit sert d’instrument de tri ; la sanction administrative prend la forme d’un courriel et d’un blocage bancaire. La privation de parole se fait sans drame et, dès lors, sans réaction massive. La société s’habitue.

La désobéissance comme art et stratégie narrative

Face à cette normalisation autoritaire, la riposte n’a pas l’allure des barricades d’antan. Elle se joue sur le plan des formes narratives et de l’esthétique. Nos micro-fictions glitchées, nos affiches qui imitent les documents officiels, nos « témoignages » faux-vrais sont des perforations narratives. Elles transforment la bureaucratie en matériau : on détourne les PDF, on fait passer des manifestes cachés dans des notices administratives, on publie des « attestations de conformité créative » que les algorithmes lisent mais ne savent pas interpréter.

Ce geste est à la fois politique et poétique : il reprend les armes de la standardisation pour y graver des fissures. L’art devient stratégie, la fiction devient tactique.

Le piège de l’évidence : accepter la douceur de l’autoritarisme

Le plus dangereux dans cette France 2035 n’est pas la brutalité, mais la ruse de l’administratif. Lorsque la mesure coercitive s’habille d’un vocabulaire de sécurité, d’efficacité et de transparence, elle parvient à s’inscrire comme « raison d’État ». Le citoyen, habitué aux formulaires, accepte. L’indignation se transforme en sermons moraux sur la « responsabilité » et la « prévention », et la politique se recroqueville dans les instances techniques.

Ce qui était dénoncé dans le rapport FIDH prend corps : le décrochage démocratique est devenu normalité, et la défense des libertés se heurte désormais non pas seulement à des forces visibles, mais à des routines administratives.

Savoir raconter la résistance quand la répression est procédurale

Il faut d’abord refuser la tentation documentaire purement factuelle. La résistance imaginative, celle que nous proposons ici, joue sur l’indistinction : fiction qui éclaire le possible, pamphlet qui prend la forme d’un formulaire. L’objectif n’est pas d’affoler mais de rendre visible l’évidence nouvelle : ce que l’on croit normal peut être ce qui nous a pris par surprise. Fatal et fatalité en somme.

A lire sur Pr4vd4 – Décrochage démocratique : vers une autocratie douce

***

(c) Ill. têtière : Luke Anthony, Pexels.

La bonne pub sur Pr4vd4.net

Commentez cet article de Pr4vd4

Connectez-vous ou inscrivez-vous pour commenter => Se connecter ou s inscrire sur Pr4vd4

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

La bonne pub sur Pr4vd4.net
To Top