Pølitique

L’État profond, le pouvoir invisible (pas aux yeux de tous)

L’"État profond", pouvoir caché ou simple inertie du système ? Décryptage ironique d’une théorie entre fascination et désillusion politique.

L’État profond, pouvoir caché ou simple inertie du système ? Décryptage ironique d’une théorie entre fascination et désillusion politique

On le murmure dans les cercles « éclairés », « bien informés », info-libérés et non écrasés par les médias mainstream, on l’évoque avec gravité dans certains essais critiques, on en fait un épouvantail médiatique : « l’État profond » serait ce pouvoir occulte qui, en coulisses, manipule gouvernements et institutions. Mais derrière cette expression, que trouve-t-on vraiment ? Une menace insidieuse ? Un fantasme ? Ou une manière commode d’expliquer la frustration démocratique ?

Une idée floue mais tenace

Le concept d’État profond (« Deep State ») provient de la Turquie (mais Pr4vd4 ne sait pas comment le dire en turc), où il désignait à l’origine un réseau d’intérêts militaires et politiques agissant en sous-main (pas en buvard). Transposé dans les démocraties occidentales, il prend une coloration plus vague : on y voit une nébuleuse de bureaucrates, de hauts fonctionnaires, de services de renseignement et de grandes entreprises qui, indépendamment du suffrage universel, piloteraient discrètement les décisions majeures.

Noam Chomsky décrivait déjà la collusion entre pouvoirs économiques et politiques dans « La fabrication du consentement ». Mais ici, la théorie dépasse le simple lobbying : l’État profond serait une machine autonome, perpétuelle, qui survivrait aux alternances électorales et aux discours officiels.

Une démocratie sous contrôle ?

« Les Trois Jours du Condor » (Three Days of the Condor, 1975), thriller d’espionnage réalisé par Sydney Pollack, met en scène un analyste de la CIA, incarné par Robert Redford, qui se retrouve impliqué dans une intrigue où des puissances cachées contrôlent les événements, tout en maintenant une façade de légitimité démocratique.

L’extrait où le protagoniste, découvrant l’existence de manipulations secrètes au sein de l’État, tente de naviguer dans un labyrinthe de bureaucratie et de dissimulation, illustre parfaitement la notion d’un pouvoir diffus et caché, évoquée dans l’article. Ce film illustre également l’idée du « spectacle » de Guy Debord et du « simulacre » de Baudrillard, où le spectateur (ou le citoyen dans la réalité) se retrouve à douter des véritables rouages du pouvoir.

Enfin, il permet de visualiser cette tension entre ce qui est montré au public et ce qui se cache en coulisses, une thématique centrale dans la réflexion sur l’État profond.

L’idée séduit. Elle permet d’expliquer pourquoi, malgré les promesses électorales, certaines orientations semblent immuables. Pourquoi la politique étrangère varie si peu d’un président à l’autre. Pourquoi certaines réformes, même plébiscitées, ne voient jamais le jour. De là à imaginer un complot organisé, il n’y a qu’un pas.

Guy Debord aurait sans doute vu dans l’État profond un avatar du Spectacle : une illusion entretenue pour faire croire au pouvoir du peuple alors que les véritables décisions échappent au regard public. Jean Baudrillard, lui, y aurait perçu un pur simulacre : un État qui ne serait plus qu’une mise en scène, cachant une mécanique de domination plus vaste.

Michel Foucault, quant à lui, n’aurait pas parlé d’un pouvoir caché mais d’un pouvoir diffus. Dans « Surveiller et punir », il montre que l’emprise ne vient pas d’une élite secrète, mais d’un réseau de normes, d’institutions et de techniques de contrôle qui façonnent les comportements. L’État profond ne serait alors pas un groupe secret, mais un système de gestion du pouvoir où la discipline et la régulation s’exercent sans visage apparent.

Antonio Gramsci, avec son concept d’hégémonie culturelle, apporte une autre lecture : les structures du pouvoir se maintiennent moins par la coercition que par l’adhésion des dominés aux idées dominantes. Ce ne sont pas tant des forces occultes qui dirigent en secret que des récits, des représentations, des valeurs inculquées au fil du temps qui déterminent ce qui est considéré comme « normal » ou « acceptable » dans l’espace public. Et pendant ce temps-là, Overton ouvre et ferme sa fenêtre.

L’Etat profond : mythe ou symptôme ?

Loin d’être une révélation fracassante, la notion d’État profond traduit avant tout une défiance croissante envers les institutions. Elle révèle une frustration face à l’incapacité du citoyen à peser réellement sur le cours des choses. Mais croire en une élite occulte omnipotente revient à dépolitiser le débat : si tout est joué d’avance, à quoi bon s’engager ?

Des théoriciens de la manipulation, comme Robert Cialdini et Jean-Léon Beauvois & Robert-Vincent Joule, rappellent que le pouvoir ne se manifeste pas nécessairement par la contrainte, mais par l’influence subtile. Techniques d’engagement, effet de rareté, autorité apparente : autant de stratégies qui permettent aux structures dominantes de se perpétuer sans avoir besoin d’un « État profond » omnipotent et secret.

Loin d’un grand complot, l’État profond est peut-être simplement l’inertie d’un système, une somme d’intérêts croisés, une continuité bureaucratique qui rend le changement difficile. Il ne s’agit pas d’un pouvoir unique et organisé, mais d’un enchevêtrement de contraintes, de réseaux et de pesanteurs historiques qui limitent la marge de manœuvre des gouvernants.

Briser le quatrième mur du pouvoir

Comme au théâtre, la politique fonctionne tant que le spectateur accepte les règles du jeu. Mais parfois, le quatrième mur se brise : une fuite, un scandale, une révélation sur les rouages réels du pouvoir. Ces instants où l’on aperçoit les fils du marionnettiste, sans pour autant pouvoir s’en affranchir.

Alors, l’État profond, réalité ou fiction ? Plutôt qu’une entité monolithique, il est peut-être le simple constat que le pouvoir, dans sa complexité, ne se laisse pas réduire aux figures visibles ni à de la mousse ou à des reptiliens.

(c) Ill. DALL·E 2025-02-24 18.05.45 – A conceptual panoramic digital illustration representing the idea of systemic inertia and hidden influence.

Nota :

  • La réponse de DALL-E à un 1er prompt pour illustrer cet article : « Je ne peux pas générer cette image, car la demande ne respecte pas notre politique de contenu »
  • Pour des raisons de lisibilité, l’Etat profond a été ici écrit sans guillemets. Mais nous aurions dû les conserver.

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