…Tout le monde, même Raymond Poulidor !
Shanghai, 7h du matin. Tandis que l’aube embrasse les tours futuristes de la mégalopole, un peloton pas comme les autres s’aligne sur la ligne de départ. Pas de short fluo, pas de montre GPS, pas de gel énergétique au goût douteux. Non. Devant nous, des jambes en titane, des capteurs infrarouges, et des articulations plus huilées que la politique extérieure chinoise. Voici le tout premier Marathon Sino-Mécanique, où des robots conçus par les fleurons technologiques de l’Empire du Milieu viennent en découdre sur 42,195 km de bitume bien lisse.
À ma gauche, un coureur humain sponsorisé par une marque de chaussures à semelles en mousse ; à ma droite, un androïde qui carbure au lithium, court à 32 km/h en mode économie d’énergie, et cite Confucius à chaque kilomètre pair. Autant vous dire que le suspense fut de courte durée. Dès le premier virage, les robots ont largué les humains avec la nonchalance d’un drone qui survole une manif interdite.
L’homme, ce sympathique figurant
Il fallait les voir, ces robots ! Élancés, précis, synchronisés comme un ballet de propagande. Un modèle, le CR-42X (surnommé « Coureur Rouge » par les techniciens) a terminé la course en 1h56, soit plus vite que le record du monde humain, mais avec la politesse de ralentir à l’arrivée pour éviter d’humilier les derniers bipèdes encore vivants.
À côté, Jean-Michel, 38 ans, cadre en reconversion, a mis 4h37, les genoux en feu, le moral en vrac, et le regard perdu dans un avenir où même faire un footing sera un exploit technologique. « J’ai tenté de les suivre jusqu’au 3e kilomètre, dit-il en mâchant un sandwich à l’électrolyte, puis j’ai compris qu’on n’était pas dans la même ligue… ni dans la même espèce. »
Car c’est bien de ça dont il s’agit. La nouvelle frontière n’est plus entre amateurs et pros, mais entre humains et processeurs. On pensait que les robots allaient nous remplacer dans les usines, les supermarchés, voire à la rédaction des articles de presse (rires gênés), mais on ne s’attendait pas à ce qu’ils nous piquent aussi la place sur le podium.
Raymond Poulidor, prophète involontaire de l’avenir
La question que tout le monde murmure, l’angoisse qui transpire sous les t-shirts en tissu respirant : quelle est la place de l’humain dans un monde où l’IA court plus vite, pense plus vite, et ne transpire même pas ?
Peut-être devons-nous nous habituer à vivre dans l’ombre brillante des machines. Peut-être, après tout, que l’humanité est condamnée à finir deuxième, à incarner une éternelle Poulidor numérique : attachant, volontaire, mais systématiquement coiffé au poteau par plus efficace que lui.
C’est une drôle d’ironie que le destin d’un paysan du Limousin, qui pédalait avec le cœur et terminait toujours derrière Anquetil, préfigure notre sort collectif. Poulidor, martyr de la glorieuse défaite, devient aujourd’hui le patron spirituel de l’espèce humaine.
Mais au fond, c’est qui le dindon du jogging ?
Dans les tribunes VIP, les ingénieurs chinois s’échangent des accolades et des diagrammes de performance. Les robots, eux, sont rangés en mode veille, alignés comme des soldats du futur prêts à bondir pour un 10 km surprise. Les sponsors salivent déjà : la prochaine course opposera des IA japonaises à des drones coureurs américains sur piste synthétique. Le tout diffusé sur un écran 3D implanté directement dans votre rétine (sauf si vous avez encore un abonnement humain basique).
Pendant ce temps, les humains comptent leurs crampes et leurs likes sur Instagram.
On nous avait promis que la technologie allait nous libérer du labeur. Résultat : on est en short fluo, en train de courir derrière des frigos intelligents qui vont plus vite que nous.
Et le pire ? On applaudit.
Une victoire à tout prix ? Même sans mérite ?
Certains s’inquiètent : « est-ce encore du sport si le résultat est joué d’avance ? » D’autres rétorquent que l’humain, dépassé ou pas, reste au cœur du jeu, car c’est lui qui conçoit les machines. Mais c’est un peu comme dire que c’est grâce à l’homme que le grille-pain existe : une maigre consolation quand on se fait cramer la tartine.
La compétition, vidée de suspense, devient un spectacle de technologie. Les valeurs sportives – effort, résilience, transpiration qui pique les yeux – laissent place à des métriques de puissance de calcul et de gestion thermique. On ne transpire plus, on refroidit par ventilateur dorsal.
Le sport devient une vitrine technologique. L’athlète, un technicien. Le spectateur, un nostalgique (camarade).
Et maintenant, on fait quoi ?
Peut-être faut-il changer les règles. Créer deux catégories : Homo sapiens et Homo circuitus. Ou inventer des épreuves où les robots ne brillent pas : course d’orientation en forêt sans GPS, ou match de ping-pong improvisé dans une cuisine étroite. Là, peut-être, que le bon vieux réflexe humain reprendra l’avantage.
Ou alors, admettons-le : l’ère de la performance humaine est en sursis. On a eu nos records, nos médailles, nos champions en short trop court. Place aux bipèdes métalliques. Et à nous, la douce mélancolie d’une époque où finir deuxième derrière plus fort que soi n’était pas un scandale, mais un art de vivre. Un art… à la Poulidor.
Moralité ?
À vouloir courir plus vite que la machine, l’humain s’essouffle. Mais il reste le seul à pouvoir pleurer sur sa défaite, en rire autour d’un café, et écrire un article acide pour conjurer l’humiliation.
Les robots gagnent les courses. Nous, on garde les vannes. Pour combien de temps encore ? Ça, seul l’algorithme le sait.
Prochaine course prévue : le relais 4×100 entre quatre IA de Shenzhen et une équipe d’étudiants en STAPS sous caféine. Spoiler : y’aura pas photo.

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