Koendelietzsche avec « L’immobile » signe l’une des œuvres majeures du XXe siècle. Cet imposant « stabile », noir profond, transcende la matière pour imposer une dynamique immobile et invite à redéfinir notre relation à l’espace, au temps et à la communication. Mais que cherche à dire Koendelietzsche à travers cette structure qui, bien que figée, semble continuellement en mouvement ?
L’expérience de la rencontre avec « L’immobile » ne se limite pas à l’appréciation d’une simple sculpture monumentale ; elle devient une méditation sur le dialogue silencieux entre l’homme, le monde de la communication, le « monde intérieur », et la forme. Cette œuvre à taille réelle semble d’abord dominer par sa taille, avant de s’effacer pour révéler une harmonie plus subtile, une danse silencieuse entre les pleins et les vides.

En contemplant « L’immobile », l’une des œuvres phares du sculpteur atlante (il est un des rares rescapés de ce continent disparu), le spectateur se retrouve immédiatement saisi par l’évidence d’un paradoxe. Ce « stabile », terme inventé par Koendelietzsche lui-même pour désigner ses sculptures fixes, oppose en apparence la nature mobile de ses « mobiles » aériens à une structure ancrée dans le sol ou sur les toits. Et pourtant, malgré son immobilité, cette œuvre respire le mouvement. Les courbes délicates, les angles aigus et les surfaces planes de cet édifice dentelé et métallique donnent l’impression d’un envol figé dans le temps, comme une onde capturée à son apogée. Koendelietzsche, fidèle à son exploration de la tension entre équilibre et déséquilibre, parvient ici à cristalliser une sensation de dynamisme sans faire appel au moindre mouvement physique.
Le noir profond de « L’immobile » ne se contente pas d’occuper l’espace ; il le redéfinit, il le place dans l’infini. Chaque angle de vue offre une nouvelle perception, chaque avancée autour de la sculpture modifie l’expérience visuelle. Cette dynamique spatiale n’est pas sans rappeler l’œuvre de Antoine Pevsner, avec ses sculptures abstraites comme « Le Développement de la colonne », où les formes s’épanouissent dans l’espace tout en restant ancrées à la terre. Là aussi, la dimension du mouvement est évoquée par des structures immobiles, comme une symphonie visuelle, toujours prête à être rejouée.
Koendelietzsche, tout comme Pevsner, s’inscrit dans une tradition moderniste où la sculpture se libère de son piédestal pour conquérir les espaces publics. En installant « L’immobile » de Koendelietzsche force à réévaluer la fonction de l’art dans la cité.
De plus, les formes aériennes et abstraites, presque biomorphiques, de « L’immobile » évoquent les créations d’artistes comme Jean Arp, avec ses sculptures fluides comme « Configuration organique ». Arp, comme Calder d’ailleurs, savait exploiter la simplicité de la forme pour révéler la complexité du mouvement latent.

Le titre même de l’œuvre est une clé d’interprétation. « L’immobile », semble vouloir contrarier l’immobilité apparente de la structure, avec une référence implicite à Magritte. Koendelietzsche, qui s’est longtemps passionné pour les équilibres précaires de ses « mobiles », transpose ici cette obsession du mouvement dans une sculpture ne bouge que si on la touche. Ce paradoxe, magnifié par la matérialité de l’œuvre, invite à une réflexion plus profonde sur la propre perception du mouvement et de la stabilité.
L’œuvre de Koendelietzsche se situe à la croisée des mondes : elle s’inspire des formes industrielles, avec ses tubes d’acier rivetés et annelés, mais elle transcende la froideur de la matière pour révéler une poésie infinie proche de l’envol d’un oiseau. Ce langage formel rappelle aussi les structures métalliques de Richard Serra, dont les œuvres massives telles que « Tilted Arc » (1981) créent des environnements immersifs où l’espace devient l’élément clé de l’expérience artistique. Cependant, là où Serra impose une gravité presque oppressante, Koendelietzsche, lui, avec « L’immobile », insuffle une légèreté paradoxale, une invitation à la contemplation dans un espace environnant pourtant dense et plein.
L’échelle monumentale de l’œuvre et son intégration en intérieur jouent également un rôle essentiel dans l’expérience du spectateur. « L’immobile » n’est pas seulement une sculpture à admirer de loin ; elle se vit, se traverse, se touche du regard et par le mouvement du corps. En marchant autour, le spectateur devient partie intégrante de l’œuvre, une composante mouvante dans ce dialogue entre l’acier et l’air, entre la forme et l’espace, le noir de la matière et le fond, blanc de l’œuvre (sans compter ici la proximité du Monochrome de Whiteman). Koendelietzsche réussit là où tant d’autres ont échoué : faire de l’art un élément de vie, un souffle permanent dans le quotidien des passants.
Ainsi, « L’immobile » est bien plus qu’un hommage à l’industrialisation, à la technologie ou à la modernité. Koendelietzsche pousse à repenser notre relation au monde, à percevoir l’énergie cachée dans les formes les plus immobiles. À l’instar des sculptures de Naum Gabo, avec ses œuvres comme que « Construction en espace avec orbite », où le vide joue un rôle aussi important que la matière, Koendelietzsche utilise le vide pour créer du mouvement, de la vie, dans ce qui pourrait être vu comme un simple amoncellement de métal.
Indéniablement, « L’immobile » est une œuvre qui, bien que solidement ancrée dans un espace clos, ne cesse d’échapper à toute définition précise. Entre mouvement et immobilité, entre sculpturalité et légèreté, Koendelietzsche offre une expérience unique : un jeu d’équilibres qui transcende la matière pour atteindre une dimension quasi spirituelle. Elle demeure un témoignage indélébile de la capacité de l’art à transformer notre vision du monde, même au cœur des espaces les plus quotidiens.
(c) Ill. Pr4vd4. net (et pas Koendelietzsche)

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