Pølitique

L’ultracrépidarianisme : l’opinion comme arme de distraction massive

Détourner l’ignorance en certitude, c’est l’art d’une époque où la parole précède toujours la pensée, et finit par s’y substituer.

Détourner l’ignorance en certitude, c’est l’art d’une époque où la parole précède toujours la pensée, et finit par s’y substituer

L’ultracrépidarianisme n’est pas une erreur passagère ni une coquetterie intellectuelle : c’est le régime discursif d’une époque où la parole prime sur le savoir, où l’ignorance s’érige en système, et où chacun, croyant participer, consent à sa propre dépossession. Cette pathologie ordinaire est devenue le mode par défaut de la communication contemporaine.

L’ultracrépidarianisme, cette manie de parler avec assurance de ce qu’on ne connaît pas, n’est plus un accident discursif. Il est devenu la norme expressive d’un régime de communication où l’opinion fait système, et où la compétence se dissimule derrière le volume sonore. C’est un symptôme, mais aussi une arme. Une ruse du pouvoir autant qu’un miroir des masses.

Dans une société saturée de signaux et appauvrie en sens, le commentaire a pris la place du savoir, l’avis remplace l’analyse, et le bruit recouvre la pensée. Le sujet ne cherche plus à comprendre, mais à s’affirmer. Non pas en raison, mais en posture. L’opinion, détachée de l’expérience, se vend comme identité. Les dispositifs numériques, en organisant l’architecture de la parole publique, favorisent ce transfert : plus un discours est simple, immédiat, catégorique, plus il est récompensé. Ce n’est pas une pathologie individuelle, mais un fait social total.

La tronche en biais de l’ultracrépidarianiste

Les biais cognitifs jouent ici leur rôle de répétiteurs fidèles : effet Dunning-Kruger, où l’incompétence nourrit la confiance excessive ; biais de confirmation, qui verrouille toute remise en question ; illusion de transparence, qui fait croire que l’on est compris sans jamais l’être. Ces failles de la raison deviennent ressources expressives dans un espace public façonné par l’émotion, la réaction, la vitesse.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas simplement l’erreur, mais le simulacre. On ne parle plus du réel, on parle à la place du réel. Ce que l’on dit n’a pas besoin d’être vrai, il suffit que ce soit crédible, partageable, performant. L’ultracrépidarianisme prospère dans ce désert du sens, où chacun joue à l’expert comme on joue à l’adulte dans une cour d’école géopolitique.

L’ultracrépidarianisme fait disparaître le silence

Les médias, au lieu de corriger ces dérives, les mettent en scène. La télévision raffole des généralistes bavards, les réseaux sociaux sacralisent le commentaire à chaud. La parole publique devient un théâtre d’opinions où la compétence devient suspecte, élitiste, donc illégitime. Et dans ce carnaval, la politique se travestit. Le débat n’est plus confrontation d’idées, mais juxtaposition d’ignorances assurées.

Au fond, c’est la disparition du silence qui est en cause. Ne plus savoir, ne plus chercher, mais occuper l’espace. Toujours dire quelque chose, même quand on ne sait rien. Car dans une société de communication totale, le vide ne se tolère pas. Alors on le remplit de tout. Et surtout de n’importe quoi.

L’ultracrépidarianisme n’est pas seulement une forme d’ignorance bavarde, c’est une manière de gouverner. Un style de discours qui protège l’imposture, conforte les dominations, et fait passer l’opinion pour participation. Le savoir y devient accessoire, parfois même obstacle. Et la vérité, quand elle dérange, se voit remplacée par l’émotion, l’image, ou le sarcasme.

Ce monde où chacun parle de tout comme s’il savait, c’est un monde où plus personne n’écoute. Et c’est peut-être là, le vrai désastre.

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