Sérendip au crématorium de Nanterre

Par Anna L.

Le 24 juin 2025

Au crématorium, entre images en boucle et voilage administratif, la mort s’optimise. L’État embellit. Louons le Camarade Président

Au crématorium, entre images en boucle et voilage administratif, la mort s’optimise. L’État embellit. Louanges au Camarade Président

Au crématorium, rue du Calvaire, les obsèques excluent le design. Le lieu lumineux, certes, est aussi cosy qu’un foyer d’hôpital. Les bancs de la salle des cérémonies ressemblent à ceux d’une mairie construite en 1955, sur les ruines des destructions de la guerre, le confort en plus, probablement. Disposés en arc de cercle, comme dans un aéropage (rappelons que nous sommes sur la colline du Mont Valérien), ils font tous face au cercueil.

Dans cette assemblée incongrue, le discours sonne solennel, grave ; peut-être optimisé par les bons soins d’un qualitaticien abonné au PFG.

Un écran domine la salle et le défunt. Symbole.

Des images défilent. Des preuves de vie. Des instants d’amour. Du cœur battant sur un ton juste.

Le MC reprend la parole, brièvement.

Les images redéfilent en boucle.

Les larmes épargnées au premier passage surgissent, comme sous un rasoir à double larme.

Silence du MC. Les images défilent toujours.

Au crématorium, entre images en boucle et voilage administratif, la mort s’optimise. Même les urnes funéraires sont en cours d'embellissement

Je me détache de l’écran, certainement pour éviter ma madeleinisation montante.

Une plaque détachée du plafond laisse apparaître l’isolant thermique. Lors d’une cérémonie de crémation, cela me fait sourire.

Mon regard descend. Une dalle enlevée, à l’espace caché par une console blanche en forme de Pi vient rappeler l’entre-deux de la situation : des trous non comblés, des déchirures du sol au plafond. Et le corps, là, au milieu.

Pendant ce temps, le rideau, derrière le catafalque, s’ouvre sur une petit salle vide. MC y tire doucement le cercueil puis sort, après un temps.

Le voilage épais se referme. Le corps est désormais confié aux bons soins de l’administration, dans une sorte d’ellipse de la crémation. L’après clôture reste mystérieux.

« La cérémonie est terminée » nous annonce-t-on.

Cela interrompt mon échappée philosophico-contemplative. Nous sortons.

En passant devant le « bureau de remise des urnes », l’humour noir nous rattrape, mais nous voilà rassurés : « des travaux d’embellissement sont en cours ».

Je sors de cette cérémonie avec le sourire d’un prince de Sérendip : la vie est un parcours semé de chausse-trappes, d’ouvertures de l’âme, mais l’administration travaille à redesigner l’ensemble afin de nous éviter tout désagrément.

Décidément, la ville est belle. L’Etat est beau et grand, qui prend soin de ses mortels citoyens. Louons le Camarade Président !

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