Pendant dix jours, j’ai publié des « photos de Chine » accompagnées de phrases préconçues, stéréotypées, ordinaires, non travaillées, répliques d’un récit de voyage sur le pouce, ressemblant à des brèves fuitant entre deux connexions wifi et censures gouvernementales probables, émaillées de noms de marques en rapport avec le texte.
Comme bon nombre de touristes et d’interconnectés, j’ai hypothétisé que mon séjour intéressait le monde entier. J’ai partagé ma joie, mes découvertes. J’ai sciemment broadcasté mon microcosme, mon nombril et les sujets politico-naturo-culturels à la face du monde (évidemment réduite à mes contacts Facebook).
Voyage imaginaire et mystification
Dans Manu et le lotus, la monstration de photos génériques remplace la démonstration. La perception de la vérité se forme par induction : l’internaute lecteur voit des photos, un texte en rapport, des sources fiables, swipe le tout. Il se projette dans le voyage avec ses propres fantasmes, idées, illusions, images préformées de la Chine, de l’Asie… ou images sédimentées suite à un réel voyage qu’il a pu lui-même réaliser au pays de la liberté.
Son jugement se forme alors : « cela ne peut qu’être vrai. Et quel intérêt aurait Manu à nous raconter des sornettes, à nous berner ? »
Nuance : cette aventure a été créée pour être crédible, construite pour illusionner et manipuler.
Illusion des contenus, manipulation du lecteur
Le découpage en épisodes, le dévoilement (mâtiné de narcissisme), l’apparent respect à l’endroit du lecteur sont en fait la porte d’entrée vers l’envers du décor, un pied-de-nez à sa candeur, à sa bonne foi et à sa crédulité, une provocation à la réflexion sur sa sujétion aux images, quelle qu’en soit la source, même en provenance des « amis » sur les réseaux sociaux (j’espère que les miens me pardonneront de les avoir pris pour des cobayes et d’avoir abusé de leur gentillesse, surtout ceux qui se sont réjouis pour moi…).
Le lecteur aura aussi consommé à doses régulières ce récit de voyage, tout comme il absorbe quotidiennement l’information, les news.
Cible de l’infox, l’internaute découvre dans Manu et le lotus le fake travel, la désinformation touristique (et politique*), le bidonnage info-touristique, que nous traduirons par le néologisme pourrisme (info pourrie + tourisme). Le marketeur est pour sa part invité à porter un regard critique aux contenus produits ou relayés par les « influenceurs » : à quel prix aurait pu être vendue cette story (avec une audience plus vaste que la mienne, évidemment) montée de toutes pièces aux marques citées… sans qu’en plus les lecteurs n’en soient avertis ? Dans les deux cas, les « cibles » sont instrumentalisées et trompées.
En somme, Manu et le lotus, dispositif allégorique et expérience éminemment non scientifique**, suggère que l’individu redevienne acteur de sa consommation médiatique.
***
* Je plaçais 信息审计办公室 avant le « Bonjour » des mails que j’envoyais. Je n’ai jamais mis les pieds en Chine. Les localisations sont farfelues mais crédibles. En fin, aucune photo n’a été prise en Chine. Toutes les photos de Manu et le lotus ont été réalisées par l’auteur lui-même dans le plus grand respect des droits de l’Homme (donc pas en Chine), mais en France, à l’exception de trois, en Allemagne. Si si, c’est vraiment vrai, puisqu’on vous le dit.
** Accompagnée d’un faible taux d’engagement, essentiellement du fait du nombre réduit de contacts participant à l’expérience et d’aucun soutien publicitaire.
Suggestion de jeu (dans le cadre de l’information gamifiée…) : vous pouvez deviner où ces photos ont été prises et poster vos pistes en commentaires de cet article !

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