Couleur pastel ou orange fluo, goût flou ou calibré, camping ou rooftop : le verre de l’été ne désaltère plus, il vous géolocalise. Santé ?
Orange chimique, fine bulle, glaçon calibré. Le Spritz, c’est l’Italie fantasmée par celles et ceux qui n’en parlent pas la langue mais savent dire « cin cin ». C’est une boisson conçue pour les feeds Instagram, les terrasses où l’on boit en diagonale, et les gens qui n’ont pas chaud parce qu’ils ne transpirent pas — ils brillent.
C’est la dolce vita version algorithme : une esthétique Pinterest, un moodboard liquide, un apéritif qui vient avec son propre branding. On ne sert pas un spritz : on le compose. Et on le photographie avant d’y toucher.
Mais attention : pas n’importe quel Spritz. Le bon Spritz, c’est 3-2-1 :
- 3 doses de Prosecco,
- 2 d’Apérol,
- 1 d’eau gazeuse.
Sauf si vous remplacez le Prosecco par du mousseux — auquel cas vous êtes probablement fauché (et vos amis le savent). Ou si vous remplacez l’Apérol par de la liqueur de sauge — auquel cas vous êtes sûrement mixologue, parisien, et insupportable. (Oui, le Spritz St-Germain existe : 6 cl de St-Germain, 6 cl de Prosecco, 6 cl d’eau gazeuse, un quartier de citron. Idéal pour ceux qui trouvent l’Apérol « trop mainstream ».)
Le rosé, c’est mon péché, putaaaiiin !
Et puis, il y a le rosé. Vin bâtard, souvent trop froid, parfois trop sucré, toujours vaguement mystérieux. On ne le choisit pas : on l’ouvre. Il n’a pas de recette, pas de géométrie, pas de rituel. Le rosé est libre. Sauvage. Il s’invite dans les glacières, coule à flot au camping, se boit au verre en plastique entre deux merguez, ou en « piscine » dans des bars climatisés où le bon goût meurt lentement.
Il ne prétend pas. Il ne promet rien. Et souvent, il déçoit — mais on l’aime quand même. Parce qu’il est là. Disponible. Parce qu’on peut y noyer un citron sans que personne ne crie à la trahison œnologique. Parce qu’il colle aux lèvres comme un souvenir de soirée floue. Parce qu’il nous rappelle ce que le spritz ne sera jamais : un vrai moment qui transpire.
Spritz : goût calibré, vie calibrée
Le spritz, lui, a un goût précis. Chimique, presque rassurant. Il ne surprend jamais. Il est le McDo des cocktails : tu sais ce que tu vas avoir, peu importe la ville, le bar, le prix. Il est standardisé, comme la playlist de la terrasse où tu le bois.
Et c’est peut-être pour ça qu’il plaît : parce qu’il donne l’illusion d’un été maîtrisé. C’est Emily in Paris dans un verre. Une série sur la légèreté qu’on n’a plus, un apéro qui dit « je suis encore jeune », « je suis encore frais », « je suis encore photogénique ». Un emoji orange avec des glaçons, liquide.
D’ailleurs, 82 % des buveurs de spritz ont un compte Pinterest*.
Rosé : le goût de l’inconnu (et parfois de la crevasse nasale)
Le rosé, lui, est une loterie. Chaque bouteille est un test : tiendra-t-elle la route, ou va-t-elle exploser le palais comme un bonbon au Destop ? C’est le seul vin dont on n’attend rien, mais dont on espère tout. Son goût, c’est la roulette russe des papilles. Légèrement métallique, parfois boisé, souvent sucré, rarement transcendant.
Mais voilà : il fait partie du décor. On l’achète comme on achète un sac de glaçons. On ne le met pas en scène. On le vide. Il n’est pas glamour, il est vécu. Il ne « match » pas avec votre tenue, il se mélange avec votre sueur.
Mon verre, c’est mon moodboard (et mon alibi)
Car ce que vous buvez ne dit plus si vous avez soif. Ça dit qui vous êtes. Le Spritz est un outil de communication. Il envoie un message : je suis solaire, mais urbain. Le rosé, lui, dit autre chose : je n’ai pas le temps de poser pour une story, j’ai soif et j’ai chaud.
D’un côté, on « sirote ». De l’autre, on « trinque ». D’un côté, on élève le verre comme un trophée. De l’autre, on le remplit à la louche. D’un côté, c’est Campari, Mad Men, le cocktail codifié. De l’autre, c’est Desperate Housewives, Jacqueline en claquettes, et les apéros qui durent huit heures.
Rosé ou spritz : choisir, c’est se situer
Alors, faut-il trancher ? Oui. Car derrière chaque gorgée, il y a une appartenance. Le rosé, c’est la France d’en bas qui monte en température. Le spritz, c’est la ville qui fait semblant de vivre l’été. Le rosé coule, le spritz s’assemble. Le rosé pardonne. Le spritz juge.
Mais au fond, peu importe : à 14h sous 38°, les deux donnent mal à la tête.
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(c) Ill. têtière : Markus Spiske
Aux pisse-vinaigre et juristes à deux balles : cet article est une parodie, un clin d’oeil, un pastiche (comme souvent ici…). Il ne fait donc pas l’apologie de l’alcool. Pas plus qu’un sujet « slip ou caleçon ? » ferait l’apologie du textile.
* Ce chiffre est inventé, mais on y croit tous.

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