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L’insulte médicale ou l’art perdu de penser

Traité d'autiste péremptoirement, je retourne l'insulte comme un gant : satire d'une société qui pathologise ce qu'elle ne comprend pas

Traité d’autiste péremptoirement, je retourne l’insulte comme un gant : satire d’une société qui pathologise ce qu’elle ne comprend pas

Ce matin-là, comme tous les matins où je nourris l’erreur de consulter mes notifications, un parfait inconnu – ou un presque-connu, ce qui est pire – a eu la lumineuse idée de m’étiqueter « autiste ». Pas dans le cadre d’une hypothèse diagnostique amicale ou d’un débat sur la neurodiversité. Non, dans la grande tradition des anathèmes de cour de récré : sèche, crue, balancée avec la grâce d’un tweet rageur écrit entre deux bouchées de kebab froid.

J’aurais pu l’ignorer. Mais il se trouve que, malgré moi, cette appellation m’a remué. Non pas parce que je me suis senti insulté – j’ai survécu à Matrix Reloaded, je survivrai à ça – mais parce qu’il y a quelque chose d’à la fois dérisoire et tragiquement révélateur dans ce mot jeté comme une pierre molle. L’insulte, cette forme primitive d’herméneutique. Lacan disait que l’inconscient est structuré comme un langage ; X, lui, est structuré comme une insulte.

Echapper au troupeau

Être traité d’ »autiste », dans ce contexte, c’est se faire accuser de quoi, exactement ? D’être trop silencieux ? Trop direct ? Pas assez ironique ? Trop ironique ? Trop concentré ? Trop passionné par des trucs qui n’intéressent que moi ? Ne pas aimer le small talk ? Être mal à l’aise avec les conventions sociales aussi absurdes que les dialogues de Emily in Paris ? Autant dire : être une personne. Et si possible, une personne qui échappe un peu à la grammaire du troupeau.

J’ai donc été nommé. Classé. Pathologisé sur la place publique par un pseudo-freudien de bistrot, un petit foucaldien de sous-préfecture, qui m’a sans doute lu de travers (s’il a lu quoi que ce soit). Ce diagnostic sauvage est fascinant. Il en dit si peu de moi, et tellement de lui. D’abord, il témoigne d’une pauvreté conceptuelle tragique. L’insulte médicale est à la pensée ce que la perche à selfie est à l’art : une réduction de tout à son usage le plus bête. Ensuite, il dévoile un imaginaire à la fois hygiéniste et puéril, où la différence doit toujours être médicalisée, cataloguée, puis moquée. Le dissensus, l’écart, l’étrangeté : hop, un petit diagnostic et on peut continuer à manger des chips devant Koh-Lanta.

Je ne sais pas si je suis autiste. Peut-être. Et alors ? Est-ce une honte ? Une forme d’arrogance cognitive ? Une élégance marginale ? Est-ce un compliment involontaire ? Une manière oblique de dire que je ne rentre pas dans la norme molle, dans la médiocrité bavarde, dans le consensus des charcutiers de l’esprit ? Il y a quelque chose de profondément comique dans le fait de me jeter à la figure un terme qui, loin d’être une insulte, est devenu un enjeu politique, intellectuel, et affectif de première importance. Comme si, pour me blesser, il suffisait de nommer une autre forme de perception du monde. Comme si me dire « tu es autiste » revenait à dire « tu ne joues pas avec les mêmes règles que moi ». Et ça, c’est vrai. Mais ce n’est pas une insulte. C’est un constat d’échec de ta part, camarade.

Sur ce, je vais recompter mes allumettes…

Ce que ça convoque en moi ? D’abord une image de Dustin Hoffman qui compte les allumettes dans Rain Man, évidemment. Puis une collection de souvenirs d’école où l’insulte se confondait avec le mystère : celui qui ne parle pas est suspect, celui qui ne rit pas aux mêmes blagues est menaçant, celui qui comprend trop vite est inquiétant. Puis, plus profondément, une colère froide face à la paresse intellectuelle. À l’absence totale d’imagination dans la méchanceté.

La vraie insulte n’est jamais là où elle croit être. Dire à quelqu’un qu’il est autiste, ce n’est pas le blesser. C’est exhiber son propre inconfort face à ce qu’on ne comprend pas. C’est brandir son angoisse devant une altérité perçue comme inacceptable. C’est être, au fond, très très banal. Foucault l’aurait dit mieux : c’est la norme qui insulte, pas la pathologie.

Et puis, en quoi l’autisme serait-il une catégorie à mépriser ? Parce que les émotions sont différentes ? Parce que les codes sociaux ne sont pas intégrés selon les normes de la téléréalité ? Parce que les sensations sont plus intenses, les passions plus profondes, les mots plus précis ? J’ai envie de répondre : oui, je suis autiste, comme d’autres sont jansénistes ou membres d’un club de lecture sadien. C’est une façon d’habiter le monde. Une manière de dire non à la trivialité. Un refus des consensus débiles.

Finalement, cette « insulte » m’a offert un miroir. Non pas de moi, mais du regard social qui panique dès qu’on ne performe pas l’ordinaire. Elle m’a renvoyé à une certitude : je suis du côté de ceux qui ne jouent pas le jeu. Ceux qui n’applaudissent pas quand il faut. Qui ne rient pas pour faire semblant. Qui restent à table quand tout le monde part. Qui trouvent dans un caillou plus de beauté que dans une story Insta.

Ce que cette personne dit de moi en me traitant d’autiste ? Rien. Ce qu’elle dit d’elle-même ? Beaucoup. Elle dit son besoin de dominer par les mots, d’assigner par une psychiatrie imaginaire, de réduire l’autre à une anomalie commode. Elle dit sa petitesse, son vide. Elle dit surtout ceci : elle ne sait pas penser sans agresser.

J’en fais un article. Elle, un tweet. Chacun son style.

***

(c) Ill. têtière : Tara Winstead

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