Griller de la viande ou composer des feuilles ? Derrière le repas d’été se joue bien plus qu’une simple question de goût : une guerre culturelle à ciel ouvert.
Il y a ceux qui cuisinent, et ceux qui bravent les flammes. Le barbecue, c’est la cuisine version western : feu, fer, fumée, testostérone. On ne parle pas ici de cuisson douce, mais de combustion sociale. Tongs aux pieds, pinces à la main, ventre légèrement bombé et bière tiède en appoint, l’homme du barbecue se rêve patriarche. Il ne nourrit pas : il sacrifie. Chaque chipolata claque comme un manifeste. Chaque côtelette claque comme un tweet.
Et justement, certains tweets font date. Quand Sandrine Rousseau (la députée, pas le philosophe suisse) osa déclarer que « le barbecue est un symbole de virilité toxique », Twitter s’enflamma plus fort qu’un feu de bois mal maîtrisé : 327 279 tweets en réaction, dont 100 400 en une seule journée. Résultat : des selfies en série avec des entrecôtes XXL et des brochettes brandies comme des torches de la dignité mâle. Quand le steak devient bouclier identitaire, on sait qu’on a grillé un câble collectif.
La merguez, madeleine de Proust version charbon
Car ne nous y trompons pas : la merguez n’est pas qu’un boyau épicé. C’est une relique affective. Le souvenir d’étés en camping, de papas qui carbonisent tout sauf leur fierté, de dimanches dans des lotissements où la fumée signale qu’on vit, qu’on existe, qu’on maîtrise encore quelque chose.
Le barbecue, c’est la dernière forteresse face à l’ultra-connecté, à l’ultra-contrôlé. Une zone de non-droit culinaire où la cuisson est approximative mais l’intention, absolue. C’est The Bear, version banlieue : le stress, les flammes, la saucisse qui tombe dans les braises, le voisin qui râle et le chien qui vole une entrecôte. Bref, la vie.
Ma salade, c’est mon manifesto vert
BB King était-il le roi du BBQ ?
Mais en face, la résistance s’organise. Calme. Froide. Détendue. Elle a pour nom : salade composée. Elle sent le basilic, coûte 16 euros en terrasse, et s’affiche en bowl sur les réseaux. Dans cette arène, pas de feu, mais des feuilles. Pas de sueur, mais des graines. Ici, tout est composé. Comme la personnalité qu’elle incarne.
La salade, c’est Gwyneth Paltrow en cuisine. C’est le bouddhisme de l’assiette. C’est le frigo pensé comme un laboratoire de l’épure. Elle rassure, elle cleanse, elle « énergise ». Elle n’alourdit pas : elle élève. On vous y vend du quinoa comme on vendrait du NFT : ça ne sert à rien, mais ça dit quelque chose de vous.
Et surtout, elle dit ce que vous ne mangez pas. Elle est le ghosting alimentaire ultime. Le rejet poli de la viande, du beurre, des sauces — et de la France des barbecues. Quand la brochette dit « j’assume tout », la salade dit « je choisis avec conscience ». L’une est brûlure, l’autre est posture.
Mufasa vs Timon : carnivores contre herbivores
La guerre est ouverte. Mufasa rugit, Timon mâchonne. Dans un coin, le carnivore assumé, flamme au poing, qui brandit la côte de bœuf comme ultime rempart contre la décadence végétale. Dans l’autre, l’herbivore militant, qui regarde la scène en story et soupire, smoothie à la main.
L’un se rêve Walter White du grill, l’autre cite Hobbes revisité : « L’homme est un loup pour l’homme, surtout quand il s’agit de la dernière côtelette. » Le barbecue, c’est le chaos primitif. La salade, le contrôle absolu.
Mon BBQ, c’est ma tribu
Mais soyons honnêtes : l’enjeu n’est pas dans l’assiette. Il est dans qui vous êtes autour de cette assiette. Le barbecue, c’est la tribu : on s’attroupe, on débat, on gueule, on crame. On est ensemble, un peu ivres, beaucoup rouges. C’est la France du terrain vague, du jardin, du béton chaud sous les pieds.
La salade, c’est la solitude connectée. Un like par graine de grenade. Une esthétique californienne plaquée sur un balcon du 11e. C’est une autre tribu — silencieuse, chic, épurée — qui pense que le vrai luxe, c’est l’absence de digestion.
Breaking Bad ou yoga food ?
Alors, barbecue ou salade ? Breaking Bad ou yoga food ? L’un tâche les doigts, l’autre colore le feed. L’un pue la fumée, l’autre sent la vinaigrette bio. L’un est instinct, l’autre est image. L’un sue, l’autre filtre. Et entre les deux, des centaines de reels TikTok, de polémiques, de brunchs ratés et de gueules de bois au kale.
Mais qui gagne ? Celui qui mange sans culpabiliser. Car au fond, c’est peut-être ça, le vrai luxe estival : un repas où l’on n’a pas besoin d’expliquer pourquoi on le mange.
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(c) Ill. têtière Pixabay

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