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Exposition – L’Âge atomique au MAM

Traversée saisissante de l'art face à l'atome, de l'exaltation scientifique aux œuvres engagées contre l'effroi nucléaire, au MAM Musée d'Art Moderne

Au MAM, un traversée saisissante de l’art face à l’atome, de l’exaltation scientifique aux œuvres engagées contre l’effroi nucléaire

L’exposition « L’Âge atomique – Les artistes à l’épreuve de l’histoire », qui se tient au Musée d’Art Moderne de Paris, déploie une réflexion aussi esthétique qu’historique sur l’impact de la découverte de l’atome et de l’usage de l’énergie nucléaire dans l’art du XXe siècle. Avec près de 250 œuvres et documents rares, cette exposition ambitieuse dirigée par Julia Garimorth et Maria Stavrinaki, explore la manière dont l’atome, de la fascination scientifique à l’effroi après Hiroshima, a redessiné les contours de la création artistique moderne et contemporaine.

Le parcours débute avec la révolution scientifique de l’atome au début du XXe siècle, qui ouvre des perspectives inédites en art. Les œuvres d’artistes visionnaires comme Vassily Kandinsky et Hilma af Klint témoignent de cette fascination pour un univers invisible, fait d’énergie et de vide. Kandinsky, par son approche mystique de l’abstraction, ou Marcel Duchamp, à travers ses recherches conceptuelles, puisent dans ce monde infra-sensible pour redéfinir la notion même de matière. Cette première section évoque la découverte de la radioactivité et ses effets mystifiants, avec des œuvres qui suggèrent un monde moléculaire, fait d’invisibles énergies. À cet égard, la « Danse du radium » de Loïe Fuller, inspirée par Marie Curie, fait vibrer l’exposition par sa théâtralité, rappelant l’exaltation initiale suscitée par cette nouvelle puissance découverte.

Avec la bombe atomique, l’art entre dans une ère de gravité tragique. L’explosion d’Hiroshima en 1945 devient un traumatisme historique et un tournant esthétique. L’exposition réunit des œuvres emblématiques de cette époque, comme les triptyques de Francis Bacon où la violence expressive des corps semble marquer la vulnérabilité humaine face à cette puissance destructrice. La technique du dripping de Jackson Pollock, quant à elle, évoque selon certaines interprétations le mouvement imprévisible des particules atomiques, une façon d’inscrire le chaos nucléaire dans la matière picturale elle-même. La toile (blanche) fendue de Lucio Fontana, de ses « Concetto spaziale », est ici chargée d’une symbolique forte, une manière de représenter la déchirure irréversible de l’humanité par l’arme atomique.

L’exposition parvient à mettre en lumière les différentes facettes de l’iconographie nucléaire. Des photographies d’archives capturent l’imagerie populaire du champignon atomique, rapidement détournée en objet de consommation dans l’Amérique des années 1950. Des affiches et documents illustrent la fascination et l’inquiétude des populations pour le nucléaire, symbolisée aussi par des concours de beauté de « Miss Atomique » (nous avons apprécié) ou par le fameux bikini, nommé en hommage aux essais nucléaires effectués sur cet atoll du Pacifique. Cette imagerie éclatante, détournée et spectaculaire, pose une critique de l’usage du nucléaire dans la culture de masse, que des artistes comme Salvador Dalí ou Sigmar Polke reprennent en détournant les codes de la propagande.

Un volet profondément humain traverse l’exposition, notamment avec les dessins poignants des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki. Ces esquisses, recueillies au Hiroshima Peace Memorial Museum, témoignent de la violence inouïe subie par ces corps marqués, rappelant l’horreur indicible de l’arme atomique. La représentation du trauma se prolonge avec le film Crossroads de Bruce Conner, chef-d’œuvre hypnotique (loooooooong !) qui répète en boucle les images d’un essai nucléaire aux îles Bikini. Par une répétition qui hypnotise autant qu’elle terrifie, ce film montre le paradoxe esthétique de l’explosion nucléaire, sublime et cauchemardesque à la fois.

L’exposition se termine en traitant la dimension écologique et militante de la question nucléaire. Dès les années 1970, la critique politique s’enracine dans les œuvres d’artistes engagés contre le colonialisme nucléaire et pour la préservation de la vie. En témoigne la peinture d’Hélène de Beauvoir, qui dénonce les effets insidieux de la radioactivité sur les corps et la nature. Des œuvres féministes, telles que les créations de Nancy Spero ou la robe aux ampoules d’Atsuko Tanaka, interpellent sur les conséquences du nucléaire sur la fertilité, faisant écho à une lutte pour le vivant. Des photographies et œuvres documentent les ravages environnementaux des essais en Algérie, en Polynésie, et aux États-Unis, où la critique de la contamination radioactive se double d’une dénonciation des injustices subies par les populations locales, sujet que l’exposition traite en lien avec les perspectives écologiques et sociales.

Enfin, l’exposition laisse entrevoir les paysages dystopiques d’un futur marqué par un hiver nucléaire, avec des dessins de Natacha Nisic inspirés de la catastrophe de Fukushima. Les visiteurs quittent l’exposition avec un sentiment lourd : celui que « l’âge atomique » n’est pas une époque passée, mais bien un présent et un avenir inéluctables. Par son ampleur et sa profondeur, cette exposition magistrale parvient à faire dialoguer art, science et politique, nous confrontant aux effets irréversibles de cette puissance atomique. Une traversée mémorable dans une époque fascinée et terrifiée par l’atome, où l’art ne peut plus être simplement beau, mais doit aussi être un acte de mémoire et de conscience.

Allez, après l’expo, on se remet au charbon !

(c) Ill. Pexels Pixabay & Pexels Pixabay

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