À l’occasion du quatre-vingtième anniversaire des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, l’ouvrage de Charles Pellegrino Le dernier train d’Hiroshima. Les survivants racontent, Massot Editions, revient en librairie dans une édition augmentée de vingt-cinq pour cent d’inédits. Publié pour la première fois en 2010, le livre s’est imposé comme l’un des récits les plus complets et les plus sensibles consacrés aux conséquences humaines et historiques de l’apocalypse nucléaire de 1945. L’auteur, écrivain et scientifique, connu aussi pour ses collaborations avec James Cameron (Titanic, Avatar), livre ici une œuvre documentaire d’une rare intensité, où les voix des rescapés résonnent avec une précision clinique et une émotion contenue.
Le regard d’un scientifique au service de la mémoire
Charles Pellegrino n’est pas un historien militaire au sens strict. Ses travaux portent sur l’archéologie, la science des catastrophes et la mémoire des mondes disparus, qu’il s’agisse de l’Atlantide, des cités bibliques ou du Titanic. Cette approche transdisciplinaire lui confère une position singulière pour aborder Hiroshima : il y croise une enquête médico-légale, attentive aux détails physiques et biologiques des radiations, et une narration qui restitue le vécu sensoriel des témoins. Comme l’a rappelé James Cameron, qui en a accompagné certaines étapes de recherche, Pellegrino a su conjuguer la rigueur des faits et l’attention à l’insoutenable. C’est sans doute pourquoi son livre est considéré au Japon comme une référence respectée, à la fois par les survivants et par les chercheurs.
Les voix des hibakusha
Au cœur de l’ouvrage se trouvent les récits des hibakusha, ces survivants des bombes atomiques dont les témoignages constituent aujourd’hui une archive humaine irremplaçable. Pellegrino restitue les paroles de figures marquantes, comme Tsutomu Yamaguchi, qui eut le terrible destin de vivre les deux explosions, à Hiroshima puis à Nagasaki. Son itinéraire incarne la métaphore du “dernier train”, ce convoi de trente rescapés d’Hiroshima qui, croyant trouver refuge à Nagasaki, furent rattrapés par une seconde apocalypse. À travers ces destins singuliers, le livre dessine la trame d’une mémoire collective où l’horreur et la résistance se tiennent ensemble.
Ces voix disent la brûlure des corps, l’aveuglement de la lumière blanche, l’ébranlement psychique d’une ville entière réduite en cendres. Elles témoignent aussi de la survie, souvent au prix d’une culpabilité tenace, et de la transmission à des générations qui n’ont connu que le récit. Pellegrino ne cède pas à l’effet de sidération : il préfère la précision clinique à l’excès pathétique, laissant les survivants porter eux-mêmes la charge de vérité.
Défaire les récits officiels
Au-delà des témoignages, l’ouvrage interroge la narration historique telle qu’elle a été produite par les vainqueurs. Comme le soulignent plusieurs critiques, il s’agit d’une remise en cause des versions officielles américaines, qui ont longtemps minimisé l’ampleur des souffrances civiles et présenté les bombardements comme une nécessité stratégique. Pellegrino, en analysant les documents militaires et politiques, montre combien la décision de recourir à l’arme nucléaire fut traversée de calculs, d’hésitations et d’aveuglements.
Cette relecture, nourrie de sources jusque-là peu exploitées, participe d’un geste critique essentiel : rendre aux victimes leur place dans une histoire trop souvent écrite à distance de leurs corps suppliciés. Ainsi, l’ouvrage se situe à la croisée d’un travail d’historien, de médecin légiste et de narrateur engagé.
Une protestation informée contre l’oubli
Les grandes voix critiques qui ont accompagné le livre insistent sur cette double dimension : à la fois mémoire des faits et protestation contre leur répétition. Steven Leeper, ancien président de la Fondation pour la culture de la paix d’Hiroshima, y voit le texte le plus complet et le plus précis jamais écrit sur les bombardements atomiques, capable de nourrir le combat pour l’abolition des armes nucléaires. Amnon Rosenfeld, anthropologue judiciaire, avoue avoir découvert dans ce livre ce que signifie réellement l’explosion d’une bombe atomique sur des êtres humains : un savoir qui, dit-il, transforme en péché impardonnable la simple conception d’un tel engin.
Pellegrino ne cherche pas l’effet spectaculaire, mais la lucidité. Son style, que Time Magazine qualifie de « presque lyrique », tire sa force d’une ironie tragique : ces trains qui transportaient les rescapés d’un enfer à l’autre, ces vies brisées par la répétition mécanique d’une même catastrophe. En ce sens, Le dernier train d’Hiroshima n’est pas seulement un livre d’histoire, mais une méditation sur l’inhumanité des armes et sur la fragilité des mémoires.
Une réédition à portée universelle
La réédition de ce texte, enrichie d’inédits, survient au moment où l’ombre nucléaire n’a rien perdu de son actualité. Dans un contexte international marqué par la résurgence de tensions stratégiques, rappeler ce que furent Hiroshima et Nagasaki revient à rappeler ce que pourrait être l’avenir si l’humanité oubliait ces leçons. L’adaptation cinématographique annoncée par James Cameron prolongera cette ambition : porter au grand public une mémoire qui ne doit pas rester confinée dans les cercles académiques ou militants.
À travers ce livre, Charles Pellegrino n’offre ni héroïsme ni consolation. Il transmet une archive sensible et scientifique, un récit où la parole des survivants s’inscrit dans la durée et oblige ses lecteurs à repenser la responsabilité humaine face à la tentation de l’anéantissement.
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Le dernier train d’Hiroshima. Les survivants racontent, Charles Pellegrino, Massot Editions.
ISBN papier : 978-2-38035-480-5
ISBN numérique : 978-2-38035-481-2

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