Sur LinkedIn, temple du professionnalisme, les propos « café du commerce » prospèrent sous les costumes-cravates tailleurs numériques. Culture, progrès, santé, politique, économie… les cadres, consultants et autres « experts » souvent autoproclamés débitent des vérités aussi péremptoires que les piliers de bistrot.
Que révèlent ces saillies de la part de ceux qui se targuent de sérieux ? Entre posture et superficialité, ces discours trahissent plus qu’ils n’éclairent. Plongée réfrigérante dans un réseau où le bon sens rivalise avec l’autopromotion.
LinkedIn, un café du commerce en costume trois pièces
LinkedIn, ce réseau où l’on exhibe CV et formules creuses sur « l’innovation disruptive », est devenu un improbable café du commerce pour cols blancs. Loin des discussions feutrées sur les KPI ou la « transformation digitale », on y trouve des saillies sur la culture (« l’école ne forme plus à l’esprit critique »), le progrès (« l’IA va tous nous tuer ou nous sauver »), la santé (« le télétravail ruine notre bien-être »), la politique (« les élites sont déconnectées ») ou l’économie (« les cryptos, c’est l’avenir »). Ici, le cadre supérieur joue au philosophe de comptoir, le consultant au visionnaire.
Erving Goffman, dans La Mise en scène de la vie quotidienne, rappelle que tout espace social est un théâtre. Sur LinkedIn, les « professionnels » endossent le rôle du sage, drapés dans une respectabilité numérique. Mais derrière les titres ronflants, leurs propos sentent le café robusta, la bière tiède et le zinc usé.
Articles à paraître / Café du commerce
- Le « café du commerce » sur LinkedIn : quand les cols blancs jouent aux prophètes, par Camarade Président
- Les imaginaires politiques populaires : ce que disent les propos de « café du commerce », par Laïka 031157
- Les imaginaires économiques populaires : ce que disent les propos de « café du commerce », par Friedrich Marx
- Les imaginaires du « café du commerce » face à la culture contemporaine, par Ella Knut
- Les imaginaires populaires du bien-être, du genre et de la « bonne vie » par le « café du commerce », par Anna L.
- Les imaginaires populaires face au progrès vus par le « café du commerce », par Bam Sobaku
La teneur des propos : du cliché managérial à l’oracle de comptoir
Que disent ces LinkedIn-eurs éclairés ? Pas grand-chose de neuf. « La culture se perd dans le wokisme », assène un DRH entre deux posts sur le leadership. « Le progrès va trop vite », soupire un ingénieur qui vante par ailleurs l’agilité. « La santé mentale est la priorité », clame une coach en bien-être, oubliant les 60 heures hebdo de ses clients. En politique, « les gouvernements ne comprennent rien » ; en économie, « il faut tout réinventer ». C’est du café du commerce avec un filtre corporate : des banalités servies avec l’assurance de ceux qui se croient au-dessus de la mêlée.
Max Weber, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, parlait de rationalité instrumentale : une logique utilitaire qui privilégie l’efficacité à la réflexion. Sur LinkedIn, cette rationalité dégénère en paresse intellectuelle. Les « pro » recyclent des poncifs, espérant un like ou un commentaire flatteur. Leur ton sent l’autosatisfaction, leur profondeur celle d’une flaque.
Ce que ça révèle : l’ego, le vide et la quête de légitimité
Que trahissent ces éructations de « professionnels » ? D’abord, un ego boursouflé. Celui qui pontifie sur « la fin de la culture » cherche moins à analyser qu’à briller. Ensuite, un vide abyssal : sous les formules creuses, peu de substance, comme si la complexité du monde était un affront à leur statut. Enfin, une quête de légitimité : en s’aventurant hors de leur expertise, ces apôtres du networking veulent prouver qu’ils sont plus qu’un titre sur une carte de visite.
Pierre Bourdieu, avec son concept de capital symbolique, éclaire ce manège. Sur LinkedIn, on accumule du prestige en mimant le penseur, même si c’est pour ânonner des évidences. Le manager qui disserte sur la santé publique n’a rien lu d’Hippocrate, mais il sait que ça « engage ». C’est pathétique, et pourtant révélateur : ces « pro » sont des humains ordinaires, prisonniers de leurs ambitions.
Le paradoxe LinkedIn : sérieux revendiqué, légèreté assumée
Et pourtant, sous ce cirque, quelque chose perce. Ces propos, aussi risibles soient-ils, reflètent les angoisses d’une époque : peur du déclassement, méfiance envers le progrès, nostalgie d’un ordre perdu. Zygmunt Bauman, dans La Vie liquide, décrit une modernité fluide, incertaine. Les propos « café du commerce » sur LinkedIn en sont l’écho maladroit : des « professionnels » qui, derrière leurs airs assurés, tâtent le pouls d’un monde qui leur échappe, qui fuit.
Le paradoxe est savoureux : un réseau qui se veut sérieux accouche d’une légèreté assumée (et assurée…), presque touchante. Ces diatribes ne brillent pas par leur rigueur, mais elles disent, malgré elles, une vérité brute : même les cols blancs ont besoin de parler pour exister.
Les échanges « café du commerce » sur LinkedIn oscillent enfin entre ridicule et symptôme. Sous des airs d’expertise, ils débitent des lieux communs avec une assurance qui frise l’arrogance. Mais dans ce théâtre de l’ego, une humanité transparaît : celle d’individus perdus dans un monde qu’ils prétendent maîtriser. Réfrigérant, oui, mais fascinant.

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