Dans la grande liturgie estivale, le bronzage tient lieu de religion : mais derrière l’ode au soleil se cache-t-il une vaste escroquerie marketing ? Entre filtres fake vacances, huile de friture et SPF 50+, Pr4vd4.net examine la face obscure du glow.
Il ressuscite chaque été. Il surgit sur les plages, dans les parcs, sur les terrasses de café : l’adepte du bronzage. Il se tartine, s’expose, se retourne, s’asperge, se brûle — et recommence. Il croit au dogme du hâle comme on croit en Dieu. Mieux : il le documente. Photo à la golden hour, jambe tendue face à la mer, caption : « Ma peau est un moodboard estival ».
Et pourtant, d’où nous vient cette obsession colorimétrique ? Il fut un temps — pas si lointain — où être bronzé signifiait appartenir au prolétariat, celui qui travaille dehors, dans les champs, sans crème, sans chapeau, sans congés. Aujourd’hui, c’est l’inverse : la peau caramel, c’est le signe ostentatoire qu’on a eu du temps. Du luxe. Un billet Ryanair pour Mykonos. Un hamac. Une huile à la mangue. Et un feed Instagram validé.
Car oui : le hâle, c’est mon CV social. Il dit : j’ai pris le soleil, j’ai pris soin de moi, j’ai pris des likes. Il dit : je suis une story vivante.
Entre UV et Utopie : le marché du bronzage
Le bronzage est une industrie. Et comme toute religion moderne, il a ses prêtres : les influenceuses skincare, les coachs en self-glow, les dermatologues sur TikTok. Il a ses évangiles : les pubs Nivea, les reels « comment bronzer sans cramer », les guides « 5 positions pour un bronzage uniforme ». Et surtout, il a son diable : le mélanome.
Alors on jongle. Entre SPF 50+ sur le visage et huile pailletée sur les cuisses. Entre peur du cancer et fierté du doré. On dit : je grille pour briller. On sacrifie sa lucidité à la promesse du teint toasté.
Les plus fous d’entre nous — appelons-les les Bronzés Anonymes — s’allongent à midi, face au soleil, tels des poulets tournants, dans un silence mystique. Il y a du Baywatch dans l’air. De la tragédie grecque. Et beaucoup, beaucoup de sueur.
Nietzsche et les marques de maillot
« Ce qui ne me tue pas me rend plus hâlé. » Nietzsche aurait pu, en slip de bain sur la plage de Nice, une lunette de soleil sur le sourcil, ce type de punch line. Car le bronzage, comme la philosophie, est une affaire de volonté.
Mais le bronzage, c’est aussi l’épreuve initiatique du corps. Il faut mériter sa teinte. Gérer les lignes du maillot, la symétrie des épaules, l’ombrage du décolleté. Il faut retourner le corps comme un toast pour éviter l’effet zèbre négligé. Une discipline spartiate. Un art du dosage.
Et gare à la trahison : l’autobronzant orange, le fond de teint trop foncé, le filtre « Santorin 3000 » qui simule trois semaines de bronzette alors qu’on a passé juin en open space. Il y a là un mensonge social : le simulacre d’une vie solaire.
Soleil, capitalisme et vampires
Le bronzage, au fond, est-il vraiment pour soi ? Ou bien est-il devenu la mise en scène d’un bien-être estival sponsorisé par les marques de crème solaire, les agences de voyage et les filtres qui flattent les teints dorés ?
Car pendant que certains rôtissent dans le sud, d’autres — Team Twilight — défendent la pâleur comme manifeste. Les vampires sont revenus, chers amis. Ils sont gothiques, japonais, underground, et n’ont pas besoin de hâle pour exister. Ils citent Virginia Woolf, mangent des tomates cerises à l’ombre, et regardent les fans de Beyoncé à Coachella comme des brebis brûlées.
Et puis, il y a le mouvement body-positive, qui milite pour aimer sa peau telle qu’elle est, qu’elle soit blanche comme un yaourt, rouge comme une langouste, ou zébrée comme un coucher de soleil raté. Fini la tyrannie du doré uniforme : place à la topographie affective de l’épiderme.
Brûlés mais libres ?
Alors, bronzer, est-ce se libérer ou se soumettre ? S’approcher du soleil ou du marché ? Retrouver un lien primitif avec la lumière ou simplement céder à une pression sociale aussi collante que l’écran total après baignade ?
Comme toujours, le choix vous appartient. Mais souvenez-vous : le vrai bronzage, c’est peut-être celui que l’on n’affiche pas. Celui qui reste secret, discret, vécu dans la sensation du chaud sur la peau et non dans la validation numérique.
En attendant, mettez un chapeau. Et si vous bronzez, faites-le avec ironie. Parce qu’un hâle conscient est toujours plus beau qu’un teint bête.
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(c) Ill. têtière : Vicente Viana Martínez

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