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Jean-Paul Sartre : les vœux sont un acte d’inauthenticité et une fuite devant la liberté

Avec Sartre, les vœux deviennent un acte d’engagement existentiel, un geste de liberté projeté dans l’avenir et l’affirmation d’un possible pour autrui.

Jean-Paul Sartre : les vœux sont un acte d’engagement existentiel, un geste de liberté projeté dans l’avenir et affirmation d’un possible pour autrui

Pour Jean-Paul Sartre, les vœux de la nouvelle année, loin d’être un simple échange de politesses, sont l’expression d’un rapport ambigu à l’existence, où l’inauthenticité règne en maître. Cet acte, anodin en apparence, est en réalité une manière de fuir la liberté vertigineuse qui nous incombe en tant qu’êtres-pour-soi. Les vœux, dans leur ritualisation et leur conformisme, incarnent une forme de mauvaise foi, ce refus de reconnaître que l’homme est condamné à être libre et à donner sens à sa propre existence.

Les vœux : une aliénation volontaire dans l’être-en-soi

Dans l’univers sartrien, les vœux peuvent être situés à la croisée de l’être-pour-soi et de l’être-en-soi. Lorsqu’on formule des vœux, on prétend projeter un futur pour soi-même ou pour autrui : « Je te souhaite la santé, la réussite, le bonheur. » Pourtant, ce futur est envisagé comme déjà déterminé, figé dans une essence prédéfinie. On ne dit pas « Crée ton propre bonheur », mais « Sois heureux », comme si le bonheur était une chose à posséder, une propriété stable.

Ce paradoxe révèle une forme de mauvaise foi : en formulant des vœux, nous agissons comme si l’existence de l’autre pouvait être réduite à un état, comme si sa liberté pouvait être encapsulée dans des désirs standardisés. Nous fuyons l’angoisse d’un avenir indéterminé en lui imposant une forme d’être-en-soi.

La mauvaise foi : un masque social

Les vœux s’inscrivent pleinement dans le théâtre de la mauvaise foi, où l’homme joue un rôle pour échapper à l’angoisse de sa liberté. En les formulant, nous adhérons à une comédie collective, une série de gestes et de paroles qui masquent l’absence de fondement absolu à nos relations. Dire « Bonne année » n’est pas un acte sincère, mais une performance dictée par des attentes sociales.

Là réside l’inauthenticité fondamentale des vœux : ils prétendent exprimer une intention singulière, mais se réduisent à une répétition mécanique de formules préétablies. Cet automatisme révèle notre tentative de nous conformer à l’être-en-soi, de nous dissimuler derrière des rôles pour éviter l’angoisse de notre liberté radicale.

Le vœu comme négation de l’altérité

Dans le cadre sartrien, l’altérité est toujours source de tension : autrui est le miroir où je me vois aliéné, mais aussi la condition de ma liberté. Les vœux, sous leur apparente bienveillance, sont une manière d’imposer à autrui une vision de ce qu’il devrait être. En souhaitant la « réussite » ou la « prospérité », je projette sur l’autre une image de lui-même, une finalité qui lui échappe.

Ainsi, les vœux participent à ce que Sartre nomme l’objectivation d’autrui : ils transforment le pour-soi de l’autre en un être-en-soi. Dire « Je te souhaite le bonheur », c’est lui refuser sa liberté de définir lui-même ce que signifie « être heureux ». Derrière l’apparente générosité des vœux se cache une forme subtile d’aliénation : je réduis l’autre à une essence que j’ai moi-même définie.

Un futur impossible : la contingence masquée

Pour Sartre, l’avenir est le domaine de la contingence absolue, un espace d’indétermination que l’homme doit affronter. Les vœux, en fixant des désirs pour l’année à venir, prétendent conjurer cette contingence. Ils établissent une illusion de contrôle sur un futur fondamentalement incertain, en lui attribuant des significations préfabriquées : « Que cette année t’apporte ce que tu souhaites. »

Mais cette projection est une pure fiction. Les vœux ne peuvent réduire la contingence de l’avenir ni son absurdité fondamentale. En les formulant, nous masquons l’effroi qu’elle suscite, nous tentons de nous rassurer face au chaos du devenir. Les vœux ne changent pas le futur : ils ne font que travestir notre incapacité à l’appréhender.

L’inauthenticité des vœux : une fuite devant la liberté

Pour Sartre, la liberté est le fondement de l’existence humaine, mais elle est aussi une source d’angoisse. Les vœux, dans leur ritualisation, incarnent une manière d’échapper à cette liberté. En répétant des formules universelles, nous renonçons à inventer un geste véritablement authentique. Nous nous cachons derrière des conventions, nous nous noyons dans la masse, et nous transformons un acte de communication en une routine aliénante.

Ce rituel collectif, loin de renforcer les liens entre individus, opère une désubjectivation. Il ne s’agit pas d’être pour autrui, mais d’être comme les autres : dire « Bonne année », c’est adhérer à une pratique sociale sans interroger son sens ni sa nécessité. C’est, en somme, nier sa propre liberté et celle d’autrui.

Les vœux, une comédie de l’inauthenticité

Les vœux de la nouvelle année, sous leur apparente simplicité, sont une manifestation éclatante de l’inauthenticité humaine. Ils traduisent notre incapacité à affronter l’absurdité de l’existence, notre refus de reconnaître la contingence de l’avenir, et notre désir d’échapper à l’angoisse de la liberté.

Sartre aurait vu dans ces vœux un acte fondamentalement aliénant, où l’homme fuit sa condition de pour-soi pour se réfugier dans un univers d’essences, de rôles et de conventions. Et pourtant, c’est précisément dans cette tension, dans cette fuite même, que se joue notre humanité : car être libre, c’est aussi choisir, parfois, de ne pas l’être pleinement.

A lire dans notre dossier Vœux de nouvelle année & philosophie, sociologie et sémiologie

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