Les transports en commun sont à l’hygiène ce que les fantasmes sont à la pudeur : un terrain glissant où l’obsession trouve à s’accomplir. Frotteur névrotique, lubrique ou esthète, peu importe la case, tant qu’elle est moite. Mes confidences vous ouvrent les portes du métro, du RER, de la pulsion de frottage au soupir final dans le pschitt. Gare au premier degré : ici, on astique en pleine lumière et on rit dans l’ombre.
Le frotteur, ce héros du quotidien
On nous vend du propre, du sain, du germ-free à chaque coin d’affiche. Le marketing capitalo-sanitaire en a fait une religion, et notre protagoniste, moi j’en suis le missionnaire. Je me glisse dans les rames comme une idée fixe. Je ne dit rien, je demande rien : je frotte. En silence. En cadence. Je frotte méthodiquement, passionnément, sans relâche. Une lingette à la main, un démon dans le regard.
Je ne suis pas un pervers. Juste un maniaque du frottage, un esthète de la barre propre, un ingénieur en ergonomie gestuelle. J’aime la barre droite, fière, rigide comme un principe kantien. Je ne la salit pas : je la purifie. Je ne souille rien, j’extirpe le crime bactérien. Mes cibles n’ont pas de genre, pas de race, pas d’âge, pas de couleur, pas de texture. Elles sont de préférence plastiques, tièdes de contacts humains et prêtes à l’usage.
Le rituel du passage à l’acte
Tout commence par une préparation minutieuse : sortie de l’étui, dépliage de la lingette comme on écarte les rideaux d’un théâtre intime. Puis vient le geste : lent, précis, lascif. Une montée. Une descente. Encore. Jusqu’à ce que la surface exulte de clarté. C’est un ballet discret entre le textile et la barre, entre la sueur du front et l’humidité du gel hydroalcoolique. On pourrait croire à une cérémonie. Il y a du sacré là-dedans. Du néo-shinto au rabais. Du fétichisme hygiénique.
Mais attention : un bon frotteur comme moi ne cherche pas le regard. J’œuvre en contre-plongée, dans l’angle mort de la pudeur collective. Je frotte à hauteur d’homme, de femme, d’enfant. Je vais là où les autres ne vont pas. Je cherche le crado inaccessible. Je m’attaque aux plis oubliés des infrastructures. Mon objectif n’est pas la propreté, c’est l’orgasme de l’ordre retrouvé. Et quand la barre brille, je pschitte. Ce pschitt, c’est mon amen, mon orgasme, mon final cut.
L’obsession dans son jus
Il faut dire que depuis la mort de mon Ombre grecque — Diogène, ce sale type dans son tonneau — j’ai changé dans mes méthodes. Du cynique, j’ai conservé le chien. Alors je renifle, je traque, je lèche presque du regard la salissure à venir. Le métro est mon terrain de chasse, la rame mon confessionnal, la barre mon dieu vengeur. Je prie à chaque arrêt. Je m’agenouille moralement à chaque station. J’espère la sueur, la coulure, le frottis invisible du monde qui passe. Et je réponds par le frottage.
Il y a dans mes gestes une tension nietzschéenne : la volonté de brillance. Je pense avec mon vieux torchon. Je médite avec mes doigts. Mon éthique, c’est celle du guerrier d’ascenseur. Je ne veux pas être vu, mais je veux laisser une trace invisible. Une trace propre. Une trace d’obsédé organisé.
L’option du canard
Tout ne repose pas sur la lingette. Les puristes le savent : le canard, cet outil ménager si souvent oublié, a le pouvoir de l’ubiquité. Son col passe partout. Littéralement. Dans les coins que même les architectes ont oubliés. Le canard, c’est mon complice des grandes ambitions. C’est l’allié des lubrifiés du lustrage. Il épouse la forme, il cherche l’angle mort, il caresse là où ça gratte. Prenez l’option canard sans renâcler de la raclette.
Le dernier frottement
Je soliloque souvent en murmurant : « Je frotte donc je suis », un sourire de chat qui fait dans la braise, le regard en merlan frit. On pourrait me croire fou, je suis juste fidèle. Fidèle à mes pulsions, à ma quête, à cette obstination à lisser le monde. Je ne veux pas que ça brille pour les autres. Je veux que ça brille pour moi. C’est une forme de vie. Une morale du chiffon. Un culte du contact indirect.
Et à ceux qui s’indigneraient : la honte a changé de camp. Je suis à moi seul un miroir, une provocation, un symptôme. Je ne fais que rejouer la comédie de notre obsession collective : être propres, brillants, lisses, impeccables. Tout en restant fondamentalement sales.
Nunc est frottandum.

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