L’exposition Corto Maltese, une vie romanesque au Centre Pompidou dévoile la complexité d’un héros iconique, né des visions d’Hugo Pratt et ancré dans les grands récits littéraires. À travers planches, aquarelles et croquis, le visiteur plonge dans la quête poétique et ironique de cet anarchiste et marin rêveur, traçant son chemin entre réalité et mythe, entre les flots du Pacifique et les ruelles de Venise.
Il y a peu de chose dans ce monde qui me fait regretter le vol, le jeu ou les femmes, mais cette exposition « Corto Maltese, une vie romanesque » au Centre Pompidou m’a arraché un soupir presque attendri, sinon empli de souvenirs. Oui, je parle bien de ce vieux compagnon, ce marin au regard aussi distant que perçant, éternel anarchiste et poète égaré en ce monde. J’ai pris plaisir, moi Raspoutine, à voir son ombre planer dans ces salles, même si, entre nous, je l’aurais taquiné en l’accusant de trop s’y complaire.
L’exposition explore avec minutie la « biographie imaginaire » de Corto Maltese, un terme qui lui sied bien, car ce lascar a toujours joué entre le réel et l’invisible. Par là, l’on ne trouve pas seulement une rétrospective sur ses aventures à travers les planches de Pratt mais une subtile incursion dans l’âme littéraire de ce voyageur. La Bpi, en rassemblant de précieuses planches originales, des croquis et des aquarelles, nous entraîne dans une odyssée entre l’art graphique et la poésie. Cela commence par l’iconique La Ballade de la mer salée, où Corto n’est qu’un naufragé parmi d’autres, dérivant dans les eaux du Pacifique, les bras attachés à une croix de bois. Cette scène, exposée en planches majestueuses, n’est pas sans rappeler l’entrée d’un personnage mythique, un prophète au destin tragique.
Au-delà de ses premières escapades océaniques, l’exposition se concentre sur cette aura poétique et littéraire qui fait de lui un gentilhomme de fortune, un aventurier presque détaché des passions ordinaires, sauf celles qui mènent à l’aventure. Les curateurs nous rappellent les auteurs et poètes qui ont habité Hugo Pratt, depuis Joseph Conrad jusqu’à Rimbaud, faisant de chaque récit une page de grande littérature. L’ombre de L’île au trésor de Stevenson et des vers épiques de Coleridge imprègnent son univers, dont Pratt fait le reflet de ses propres lectures, enracinant Corto dans une longue lignée de voyageurs imaginaires.
Ces aventures romanesques, comme les nomme l’exposition, nous offrent aussi les femmes de Corto, des personnages peuplant des récits à la fois concrets et oniriques. Shanghai Lil, Pandora ou Bouche Dorée, toutes s’imposent comme des figures, des défis à la fois sensuels et spirituels qui donnent une épaisseur fascinante au personnage. Les commissaires d’exposition, avec une sensibilité affûtée, ont disposé chaque rencontre dans un espace qui invite à plonger dans des extraits de dialogues et de visuels intenses où les femmes n’épargnent pas plus Corto que moi-même. Mais le Maltais est habile à se dérober ; sa vie entière ressemble à une fuite perpétuelle. Moi, j’en aurais tué plus d’un par goût de l’aventure ou par esprit de camaraderie, et c’est peut-être ce qui fait de nous deux un duo si mémorable, que l’on peut croiser dans La Maison dorée de Samarkand ou encore dans Sous le signe du Capricorne.
Cette exposition est, il faut le dire, une fresque où le talent de Pratt s’exprime en demi-teintes de noir et blanc, des aquarelles mystérieuses où les vides de la page deviennent des ouvertures vers un monde chimérique. On est confronté à une foule de personnages venus de contrées lointaines et de civilisations anciennes, car Corto a ce don de naviguer entre rêve et réalité. Là, on le voit converser avec Merlin et Puck dans Les Celtiques, errant dans la légende et la mythologie, au gré de références qui, pour moi, évoquent un mysticisme que Corto aime à effleurer sans jamais y sombrer.
L’itinéraire de Corto, entre Venise, la Sibérie et la Méditerranée, ponctué par ses rencontres avec Jack London ou Hermann Hesse, trahit aussi l’obsession de Pratt pour une époque en bouleversement. Le parcours se termine dans une nostalgie douce-amère, comme une invitation à se perdre, pour ceux qui osent, entre réalité et fable. D’autres pourraient dire que ce marin-là ne faisait que rêver ; moi, je sais bien que c’est dans le réel qu’il puisait la source de ses escapades. Cette exposition au Pompidou est comme un testament pour cet esprit libre et insaisissable, un hommage autant à Pratt qu’à son Maltais, et sans doute un peu, en filigrane, à moi.
(c) Ill Têtière : Songe d’un matin d’hiver © 1972 Cong S.A. Suisse – Tous droits réservés
Warning: Undefined variable $user_ID in /home/clients/7a41c44244986743454d6d9d6f1890e1/sites/pr4vd4.net/wp-content/themes/flex-mag/comments.php on line 49
Vous devez être connecté pour poster un commentaire Login
Leave a Reply
Leave a Reply
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.