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« La vraie question » : un piège rhétorique

L'expression "la vraie question" masque souvent une banalité affligeante. Un simulacre qui révèle que "la vraie question", c’est l’absence de vraie question

L’expression « la vraie question » masque souvent une banalité affligeante. Un simulacre qui révèle que « la vraie question », c’est l’absence de vraie question

Dans les débats télévisés, les éditoriaux enflammés ou les conversations de comptoir, la formule « la vraie question » surgit comme une révélation. Elle promet l’essentiel, mais livre le vide. Derrière l’illusion de profondeur se joue une mécanique de pouvoir : un simulacre qui simplifie, hiérarchise, neutralise.

Le simulacre de la profondeur

« La vraie question » évoque un geste philosophique, une quête d’essence distinguant l’apparence de la réalité. En pratique, elle sert à esquiver la complexité. Dire que « la vraie question de la dette n’est pas son montant, mais son remboursement » ne relève pas d’une percée conceptuelle, mais d’une tautologie maquillée. Ici, le signe supplante la substance : c’est l’exact mécanisme décrit par Baudrillard, celui d’un monde où l’on ne débat plus du réel mais de ses représentations, réduites à une parade de simulacres.

Violence symbolique et hiérarchie discursive

L’illusion de profondeur produit une inégalité : le locuteur se pose en détenteur du savoir légitime, l’auditeur en récepteur passif. Invoquer « le vrai sujet », c’est s’ériger en arbitre de l’essentiel et assigner l’autre à l’ignorance. Le débat se ferme avant même d’avoir commencé, du fait de la « violence symbolique » qu’il porte d’emblée.

Le refrain « Same as it ever was » fonctionne comme un mantra du déjà-dit, qui pourrait être collé tel quel à la formule « la vraie question » : sous prétexte d’ouvrir l’horizon, on répète inlassablement la même chose. Là où la chanson dissèque la mécanique de l’habitude en la laissant tourner sur elle-même, la rhétorique du « vrai sujet » dissèque le débat en le réduisant à un rituel hypnotique.

Le mythe de la profondeur

Barthes, dans ses Mythologies, montre comment certains signes transforment le contingent en naturel, l’historique en évidence. « La vraie question » fonctionne de la même manière : elle naturalise ce qui devrait rester problématique. Quand un ministre déclare que « la vraie question de l’éducation n’est pas l’argent mais l’efficacité », il ne révèle pas un fondement, il fabrique un mythe. Ce qui n’est qu’une orientation idéologique se présente alors comme évidence indiscutable.

Du spectacle au pouvoir

Debord analysait la société du spectacle comme une domination par l’image et la mise en scène. Ici, le spectacle n’est pas seulement visuel, il est discursif. Le « vrai sujet » agit comme une dramaturgie du débat public : la promesse de dévoiler l’envers du décor, suivie de la déception programmée d’un lieu commun. Le spectateur croit assister à un dévoilement, il se retrouve piégé dans un rituel médiatique où l’illusion d’authenticité masque la répétition.

Les mirages de l’économie de l’attention

Ces formules prospèrent dans un environnement saturé, où chaque phrase doit capturer l’attention. Elles fonctionnent comme des slogans : sur l’immigration, « le vrai sujet » devient l’intégration, ou la sécurité, selon le camp. Le réel, avec ses flux complexes, est expulsé au profit d’un cadrage binaire, parfaitement algorithmique. Foucault rappelle que le pouvoir ne s’exerce pas seulement par la contrainte mais par la définition de ce qui mérite d’être dit. « La vraie question » est une machine de cadrage : elle dicte l’agenda du pensable.

Lignes de fuite et illusions rouges

Psychanalytiquement, ces formules rappellent le « sujet supposé savoir » de Lacan : l’orateur s’arroge une autorité imaginaire pour masquer son propre manque. Ce besoin de désigner « le vrai » traduit un fantasme de complétude dans un monde fragmenté. La culture pop recycle ce mirage à l’infini : des publicités Apple* (Pr4vd4 préfère Karel Appel, ci-contre) vendant la différence en série, aux univers comme The Matrix où la pilule rouge promet l’accès au « vrai » alors qu’elle n’offre qu’une autre illusion.

La vraie question, c’est l’absence de vraie question

Plutôt qu’un chemin vers l’essentiel, « la vraie question » fabrique des clôtures. Elle simplifie pour mieux neutraliser, dévoie pour mieux rassurer. Une promesse de radicalité qui accouche d’un conformisme. Au lieu de dévoiler, elle maquille. Au lieu de fissurer, elle colmate. Le simulacre triomphe, mais il laisse toujours filtrer un doute : et si, finalement, la vraie question était précisément qu’il n’y en a pas ?

***

Notre dossier Café du commerce pourra aussi vous intéresser : dans les conversations anodines qui peuplent nos quotidiens – au comptoir d’un bar, dans les open spaces des entreprises ou autour d’une table familiale – émergent des discours qualifiés de « café du commerce ». Souvent décriés comme superficiels ou caricaturaux, ces propos sur la culture, le progrès, la santé, la politique ou l’économie trahissent pourtant une richesse inattendue.

* Ceci n’est pas un placement produit

(c) Ill. têtière : Leeloo The First

(c) Ill. corps article : Karel Appel, Oiseaux de nuit, 1949. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

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