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Michel Foucault : les vœux comme dispositif de pouvoir et de régulation sociale

Foucault considère les vœux de nouvelle année comme un dispositif de pouvoir, où le langage structure les relations sociales et impose des normes.

Michel Foucault : les vœux sont un dispositif de pouvoir, où le langage structure les relations sociales et impose des normes

Dans le langage de Michel Foucault, les vœux de la nouvelle année pourraient être analysés comme un dispositif, c’est-à-dire une configuration de pratiques, de discours et de relations qui organisent et régulent les comportements individuels et collectifs. Derrière leur apparente banalité, ces vœux jouent un rôle clé dans la gestion du lien social, dans la mise en œuvre d’un pouvoir diffus qui traverse les individus et les structures. Loin d’être un simple geste spontané, l’échange de vœux participe à une économie du pouvoir où se nouent des formes subtiles de contrôle, de normalisation et de subjectivation.

Le vœu comme rituel de gouvernementalité

Pour Foucault, la gouvernementalité désigne les techniques par lesquelles le pouvoir s’exerce sur les conduites, organisant les relations entre les individus et les institutions. Les vœux, à la manière d’un rituel collectif, s’inscrivent dans cette logique. Ils participent à la reproduction d’un ordre social où chacun est assigné à un rôle de sociabilité et d’interaction contrôlée.

En formulant ses vœux, l’individu accomplit un acte prescrit, un geste codifié qui le situe dans un réseau de relations. Il ne s’agit pas simplement d’exprimer un souhait, mais de se conformer à une attente sociale implicite : maintenir la continuité des liens, signaler sa présence dans le corps social, et reconduire, presque inconsciemment, les hiérarchies et les rôles établis. Le vœu n’est pas libre : il est un geste gouverné.

Discours et production de normes

Les vœux s’inscrivent dans ce que Foucault appelle un régime de vérité : un ensemble de discours qui, tout en paraissant anodins, construisent des normes de comportement. Dire « Bonne année », « Santé et succès », c’est participer à un discours qui valorise certaines aspirations comme universelles et naturelles. Pourtant, ces aspirations sont historiquement et culturellement situées : elles traduisent les attentes d’une société bourgeoise centrée sur l’individu productif et en bonne santé.

Ainsi, le vœu agit comme un mécanisme de normalisation. En répétant des formules standardisées, l’individu intériorise un ordre de valeurs où la santé, le bonheur et la réussite sont érigés en finalités ultimes. Ce qui semble un geste bienveillant est en réalité une assignation au cadre normatif du « bon citoyen ».

Un pouvoir capillaire : le contrôle par l’intime

Les vœux relèvent de ce que Foucault décrirait comme une forme de pouvoir capillaire : un pouvoir diffus qui s’exerce à travers les micro-pratiques de la vie quotidienne. Dans l’échange des vœux, le contrôle ne vient pas d’une autorité extérieure, mais se manifeste dans l’auto-discipline des individus eux-mêmes. Chacun sent qu’il doit formuler ses vœux, sous peine d’être perçu comme distant, négligent ou asocial.

Ce pouvoir, qui agit sur l’intime, transforme les relations personnelles en un espace où se rejoue la logique de la régulation sociale. Les vœux deviennent un mécanisme de surveillance réciproque : chaque message envoyé ou reçu est une preuve d’insertion dans le tissu social, une manière de confirmer que l’on est bien intégré dans les circuits du pouvoir et des relations.

Temporalité et biopolitique : la gestion des vies

La pratique des vœux s’inscrit également dans une logique biopolitique, où le pouvoir s’intéresse à la gestion des corps et des populations. Les souhaits de « bonne santé », « longévité » ou « prospérité » ne sont pas innocents : ils traduisent une obsession contemporaine pour l’optimisation des vies.

Formuler un vœu, c’est participer à une injonction implicite à « aller bien » – physiquement, émotionnellement, économiquement. La biopolitique infiltre ici les relations les plus banales, rappelant que l’individu doit non seulement vivre, mais bien vivre selon les standards de la productivité et de la positivité. Chaque vœu est un rappel de cette exigence, une manière douce mais insistante de rappeler à chacun son rôle dans le fonctionnement global de la société.

Subjectivation et dispositif des vœux

Dans le système des vœux, l’individu est à la fois sujet et objet du pouvoir. En émettant des vœux, il performe un rôle social, mais il se construit également comme sujet : il se positionne, exprime des intentions, projette une image de soi. Cette subjectivation, toutefois, est encadrée par des normes : on ne dit pas « Je te souhaite l’ennui et le chaos », car le vœu se doit d’être positif, bienveillant, conforme.

Mais cette subjectivation n’est pas libre : elle est le produit d’un dispositif, une matrice de règles et de pratiques qui façonne les discours et les comportements. Les vœux, en apparence anodins, participent ainsi à un processus de fabrication des subjectivités, où chacun s’inscrit dans une trame collective tout en croyant affirmer son individualité.

Les vœux, une économie du lien régulé

Les vœux de la nouvelle année, sous leur apparence innocente, participent à un dispositif complexe où se jouent les dynamiques du pouvoir, de la norme et de la subjectivité. Ils ne sont ni neutres, ni spontanés : ils sont une pratique ritualisée, une manière pour le pouvoir de se diffuser dans les interstices de la vie sociale.

En échangeant des vœux, les individus reproduisent les mécanismes de régulation sociale, réaffirment les normes dominantes et contribuent, souvent malgré eux, à la pérennité d’un ordre gouverné. Derrière chaque « Bonne année », Foucault aurait vu non pas un simple souhait, mais une opération de pouvoir, subtile, diffuse et implacable. Les vœux sont le masque bienveillant d’un ordre qui nous traverse et nous modèle.

A lire dans notre dossier Vœux de nouvelle année & philosophie, sociologie et sémiologie

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