Ce régime commence par un gros mot : acrasie.
L’acrasie consiste à « connaître ce qui est le meilleur et ne pas le faire, bien qu’on le puisse, et faire le contraire », établit Socrate dans Protagoras. L’acrasie consiste à être « vaincu par le plaisir » et à « ne pas faire ce que l’on connaît être le meilleur ». En somme, l’individu cède à quelque chose d’agréable dans l’immédiat alors que cette chose sera ultérieurement source de désagréments.
La faute à qui ?
Selon le philosophe, ceux qui se disent vaincus par le plaisir font seulement un mauvais calcul : ils soupèsent mal l’agréable et le désagréable résultant de l’action. C’est donc seulement, d’après lui, par ignorance que l’on choisit (le) mal.
La faute à l’individu, donc…
Mais cela suppose que l’individu possède toutes les clés pour juger (et choisir in fine la mauvaise), donc dispose de son libre arbitre et d’informations fiables. Interviennent les Fake news….
L’ignorance alimentée par les Fake news
Les électeurs ayant penché pour le populisme ont-ils exercé leur (réel) libre arbitre ?
Sont-ils des avares cognitifs évoqués par Gérald Bronner, des désabusés, des perdants de la mondialisation, des satellisés de la centrifugeuse-monde, des nostalgiques de la small town, des personnes qui n’ont plus rien à perdre et qui, du coup, tentent l’aventure ?
L’acrasie mute alors probablement en plaisir du jeu, en loterie pim pam poum, mâtinée de divertissement.
Et le média snacking paraît.
Le média snacking comme divertissement
Le média snacking tue l’ennui et la désespérance. Il permet à l’hyperconsommateur de se nourrir de butinage.
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Ca remplace le Sudoku, l’horoscope. Et pas mal l’activité neuronale.
Et c’est bon quand c’est gratuit.
Alors marques et émetteurs de tout poil, médias séniors et casteurs juniors lui en donnent pour son argent : la médiocrité du bol informationnel, la misère informationnelle, appauvrissent le consommateur lecteur citoyen. Qui le rend bien aux shooteurs d’infos car le média snacking ne convertit pas. Il ne fabrique pas non plus d’adhésion. Ni de conviction. Comme l’alcool, il apporte des calories qui ne servent à rien.
Mais l’ignorance, si elle est alimentée par les Fake news, les nourrit aussi. Une sorte de boucle récursive chère à Edgar Morin. On a les informations surcaloriques que l’on mérite, accompagnées d’une digestion difficile et d’une langue de bois des lendemains qui déchantent.
Mais quand on dévore l’information sans la digérer, il est difficile de distinguer la vérité qui en est à l’origine (merci Hanna Arendt).
Le mensonge et le bullshit, diverticules de l’ignorance
Dans son livre De l’art de dire des conneries, Harry Frankfurt établit le distingo entre le mensonge (lie) et la connerie ou le baratin (bullshit) :
- Un menteur fait délibérément des déclarations fausses, il a besoin de connaître la vérité pour mieux la cacher à l’interlocuteur ;
- Un baratineur ne se réfère même pas à la vérité, n’en tient aucun compte ; il n’est intéressé que par ses propres objectifs, ne se réfère pas à la vérité. Il a probablement lu L’art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer. Enfin, caressons-en le rêve.
Il conclut : « Les conneries sont un ennemi plus grand de la vérité que les mensonges. »
Probablement parce qu’elles nourrissent les croyances.
L’ignorance fait le lit de la crédulité, les croyances l’accompagnent
Croyance, en gauche ligne (oui, jeu de mots) de Noam Chomsky, que les médias nous manipulent, que l’information sur le web est pure, objective, neutre, en oubliant que « le medium est le message » de McLuhan, et en évaporant les bulles filtre d’Eli Pariser.
Croyance que les faits ne sont qu’interprétation fortement sujette à caution. Évident depuis L’Affaire Calas médiatisée (oui, déjà !) par Voltaire.
Croyance que le récepteur a gardé son libre arbitre alors que bon nombre de décisions prises l’ont été sous la pression ou la vigilance du groupe. Pas neuf depuis Stanley Milgram…
Croyance que parce que l’information est pléthorique et le web « ouvert ». Alors tout bouge, tout progresse, tout innove. Mais comme le relève Frédéric Lordon, « la meilleure méthode pour l’endormissement c’est l’illusion du mouvement ».
Après le média snacking, le vomi informationnel
Alors en plus d’être infobèse à force de média snacker et d’être « victime » de l’acrasie, le consommateur finit par se faire endormir.
Pire, il régurgite dans sa léthargie.
Cela se nomme négationnisme, racisme, sexisme, violences, insultes, bashing… Ce magma dégouline par le petit trou de l’anonymat, de l’hétéronymat et du pseudonymat dans une logique de l’entre-soi… à destination du monde puisqu’il en est le nombril et le Narcisse.
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